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pour le peuple hellénique, nous ne serons pas dupes, même si elle porte l’estampille de M. Venizelos, d’une politique dont les fins sont incompatibles avec les intérêts français.

La résolution prise à Paris le 23 septembre par lord Curzon, le comte Sforza et M. Poincaré, était heureuse et sage parce qu’elle réalisait l’union des trois Puissances et prévenait les risques de conflit ; mais elle ne pouvait manquer d’être, sur place, d’une réalisation laborieuse. Représentons-nous l’état d’esprit d’une armée victorieuse, lancée d’un élan vigoureux à la poursuite de l’ennemi vaincu et subitement arrêtée par une « zone neutre » que rien ne délimite sur le terrain et où elle se persuade que des détachements ennemis ont trouvé refuge et protection. Ces soldats anglais qui, derrière leurs réseaux de fils de fer, observent l’avance des avant-gardes victorieuses, ces vaisseaux qui sillonnent les Détroits et la Marmara, ne sont-ils pas des ennemis déguisés qu’empêcheront les Turcs de rentrer dans leur capitale et de restaurer leur puissance en Thrace ? On ne peut qu’admirer la prudence et l’autorité des chefs turcs qui ont réussi à éviter tout conflit dans des conditions où il semblait que les fusils partiraient tout seuls. Que les Turcs se méfient des Anglais, comment s’en étonner ? C’est pourquoi, à Paris, Lord Curzon suggéra le premier que M. Franklin-Bouillon, négociateur des accords franco-kémalistes d’Angora, fût envoyé auprès de Mustapha Kémal afin de le rassurer, de lui présenter sous leur vrai jour les résolutions des Alliés, de l’encouragera la prudence et à la patience. Il partit immédiatement et arriva, le 28, à Smyrne où il prit contact avec Kémal.

A peine l’accord du 23 était-il signé à Paris que, sur place, des difficultés survenaient : des forces turques pénétraient dans la zone neutre à Erenkeuï ; les avant-postes anglais et grecs étaient en présence ; un conflit fatal pouvait sortir du moindre incident. Hamid bey, représentant d’Angora à Constantinople, déclarait ignorer la zone neutre. En Angleterre, l’opinion, tout en critiquant la politique orientale du Cabinet de coalition, n’admettait pas que la puissance britannique eût l’air de « reculer « devant les Turcs. Si c’est la guerre, disait le Temps dans un article d’ailleurs très sévère pour la politique de M. Lloyd George, toute l’Angleterre se ralliera derrière le Premier Ministre. Les récits navrants des réfugiés chassés par la guerre de leurs foyers émouvaient le public ; de Smyrne, plus de 150 000 personnes étaient évacuées ; des dizaines de milliers affluaient aux Dardanelles, dans les îles ; c’est un immense exode de populations chrétiennes chassées par un retour offensif de l’Asie musulmane.