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UNE AMITIÉ DE BALZAC
CORRESPONDANCE INÉDITE[1].

« Je ne veux pas, je n’ai jamais voulu de cette amitié charmante que vous offrez aux femmes qui, sous mille rapports, valent mieux que moi. Je prétends à un sentiment plus élevé. Il faut que vous m’estimiez assez pour me mettre en réserve, pour ainsi dire ; et si quelque mécompte vient troubler votre joie, si quelque déception froisse votre cœur, vous m’évoquerez alors, et vous verrez comme je saurai répondre à cet appel. »

Ainsi Mme  Zulma Carraud définissait cette noble et pure affection qu’elle voua passionnément, pendant plus de trente années, à Honoré de Balzac. Cette amitié d’une qualité si rare, la Correspondance générale de Balzac et les Lettres à l’Étrangère nous l’avaient fait entrevoir ; la correspondance particulière de Balzac et de Mme  Carraud, dont nous allons publier de nombreuses lettres, la révélera complètement.

Nous la suivrons, au jour le jour, à travers les années, de l’École Saint-Cyr à la Poudrerie d’Angoulême, de la Poudrerie d’Angoulême au petit château de Frapesle, près Issoudun, et de Frapesle à Nohanten-Graçay, sa dernière étape. Nous connaîtrons ainsi qu’elle fut le réconfort le plus sûr de Balzac aux heures de lassitude physique et intellectuelle, sa consolation la plus douce aux heures de détresse morale. « Je serais presque tentée, écrivait Mme  Carraud, s’il n’y avait pas malheur pour vous, de remercier tous ceux qui vous tourmentent et vous jettent pour ainsi dire dans nos cœurs. »

Tout d’abord, le romancier trouva chez les Carraud, au milieu des tourmentes de sa vie, ce qui lui manquait le plus, ce qui lui manqua toujours : un foyer, un calme foyer. « Ne croyez pas, lui expliquait Mme  Carraud, qu’il faille des aspects toujours nouveaux à la vie ! les nuances sont ce qu’elle offre de plus délicieux. Comprenez donc tout ce qu’il y a dans cette sécurité que cette heure actuelle, si douce, sonnera le lendemain, puis encore après, puis toujours.

  1. Copyright by Marcel Bouteron, 1922.