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le coupable s’effondrer intérieurement. La tête basse, l’œil éteint, le front plissé, il s’absorbe dans une détresse anxieuse, dans une contention accablée. Bientôt, un sentiment le domine tout entier avec la force opiniâtre d’une idée fixe ; c’est la honte, le remords, le besoin irrésistible d’avouer sa faute et de l’expier. Il se prosterne alors jusqu’à terre devant les icônes ; il se frappe la poitrine à grands coups ; il implore éperdument le Christ. Toute son attitude morale semble déterminée par cette pensée de Pascal : « Dieu absout dès qu’il voit la pénitence dans le cœur. »

Une anecdote, que Dostoïewsky a insérée dans le roman l’Adolescent, illustre d’une matière frappante ce que je viens de dire. Il s’agit d’un soldat qui, ses années de service accomplies, retourne à son village. Les habitudes qu’il a prises au régiment lui rendent bientôt insupportable la vie monotone avec les moujiks ; d’ailleurs, il déplaît lui-même aux moujiks. Alors, il se met à boire et devient mauvais. Un jour, il dévalise des voyageurs. Les soupçons se portent immédiatement sur lui ; on l’arrête. Mais les preuves décisives manquent. Devant le tribunal, son avocat, fort habile, est sur le point d’enlever un acquittement. Soudain, l’accusé se lève, coupe la parole à son défenseur : « Non, attends, laisse-moi parler. Je vais tout dire... » Et il dit tout jusqu’à la dernière miette. Puis, il éclate en sanglots, se frappe violemment la poitrine, et clame son repentir. Les jurés, très émus, se retirent pour délibérer. Après quelques minutes, ils rapportent un verdict de « non culpabilité. » L’auditoire applaudit. Les juges prononcent un arrêt d’absolution. Mais l’ancien soldat ne bouge pas ; il est consterné. Quand il se retrouve enfin libre dans la rue, il marche au hasard, en proie à une torpeur morne. Le lendemain, après une nuit sans sommeil, il est encore plus déprimé ; il refuse de boire et de manger, il ne veut parler à personne. Et, le cinquième jour, il se pend. Un personnage du roman, un moujik, devant qui l’on raconte cette aventure, Macaire-Ivanowitch, conclut : « Voilà ce qu’il en coûte de vivre avec ses péchés sur l’âme !... »



Mercredi, 29 mars.

L’ancien Président du Conseil, Kokovtsow, dont j’apprécie tant le patriotisme perspicace et la solide raison, vient me voir