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Au cours de sa plaidoirie, Kérensky a déclaré : « Jamais les accusés n’ont pensé à provoquer une révolution pendant la guerre ; jamais ils n’ont souhaité la défaite de notre armée ; jamais ils n’ont tendu la main à l’ennemi par-dessus la tête de ceux qui meurent en défendant la patrie. Ce qu’ils redoutaient, au contraire, c’est que les réactionnaires russes ne fissent alliance avec les réactionnaires allemands... » Cette allusion à une connivence occulte de l’autocratisme russe et de l’absolutisme prussien n’est que trop fondée. Mais je considère comme non moins établis les préparatifs de trahison que le socialisme russe poursuit dans l’ombre, en s’adressant aux pires instincts des ouvriers et des soldats.



Samedi, 1er avril.

Je vais voir Sturmer pour l’entretenir de questions administratives qui ressortissent à son Département.

La figure pateline, le geste ouvert, il m’accable de promesses mielleuses :

— Excellence, j’ordonnerai à mes bureaux de faire tout le possible pour vous plaire. Et ce qu’ils déclareront impossible, je le ferai moi-même.

J’enregistre ces belles déclarations ; puis, m’adressant non plus au Ministre de l’Intérieur, mais au Président du Conseil, je lui parle des difficultés que la bureaucratie ne cesse de créer aux industries privées qui travaillent pour la guerre, je lui cite plusieurs cas récents qui témoignent, dans les administrations publiques, d’autant de mauvaise volonté que d’insouciance et de désordre :

— J’invoque, dis-je, votre haute autorité pour mettre fin à ces abus scandaleux.

— Oh ! scandaleux est bien excessif, monsieur l’ambassadeur ! J’admets tout au plus qu’il y ait eu quelques négligences et je vous remercie de me les signaler.

— Non, monsieur le Président, les faits que je vous rapporte et que je vous certifie ne sont pas seulement des négligences ; ils révèlent un système d’obstruction, un parti pris d’hostilité.

D’un air désolé, la main sur le cœur, il me garantit l’ardent patriotisme, le zèle dévoué, l’impeccable probité de l’administration impériale. J’insiste d’autant plus dans mes récriminations ;