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d’opinions et qui aime « aller au peuple », m’emmène dans les églises des quartiers populaires.

Après un court arrêt à la Lavra étincelante et somptueuse de Saint-Alexandre Newsky, nous visitons la petite église de l’Exaltation de la Croix, qui avoisine le canal Obvodny, puis la cathédrale d’Ismaïlow, qui est à l’extrémité de la Fontanka, enfin les églises de Sainte-Catherine et de la Résurrection, qui s’élèvent au milieu des usines et des docks, non loin de la Néwa.

Partout, un luminaire éblouissant ; partout, des chœurs admirables pour la beauté des voix, pour la maîtrise de l’exécution, pour la profondeur du sentiment religieux.

Partout aussi les visages reflètent une piété rêveuse et grave, timide et concentrée.

Nous nous attardons à l’église de la Résurrection, où l’assistance est particulièrement recueillie.

Soudain, la princesse D... me pousse le coude :

— Regardez ! me dit-elle. N’est-ce pas émouvant ?

Et d’un glissement des yeux, elle me désigne un moujik en prière, à deux pas de nous. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu d’une touloupe rapiécée, haut de taille, l’air phtisique, la face camuse, le front ridé, les tempes chauves, les joues creuses sous la barbe grisonnante et rare, la tête inclinée vers l’épaule droite, les mains jointes devant la poitrine et crispées autour de la casquette. A plusieurs reprises, il se frappe le front et les épaules avec ses doigts rassemblés, tandis que ses grosses lèvres bleuâtres balbutient : Gospodi pomiliou ! Seigneur, ayez pitié de moi ! Après chaque appel, il exhale un profond soupir, un gémissement sourd et douloureux. Puis il redevient immobile. Mais sa physionomie n’en est que plus expressive. Une lueur phosphorescente, extatique, baigne ses yeux pâles, qui semblent voir réellement quelque chose d’invisible.

La princesse D... me serre le bras :

— Regardez-le, regardez-le !... En ce moment, il voit le Christ.

Pendant que je reconduis ma compagne chez elle, nous devisons sur les instincts religieux des Russes ; je lui cite le mot de Pascal : « La foi, c’est Dieu sensible au cœur ». Et je lui demande si elle ne pense pas qu’on puisse dire ; « Pour les Russes, la piété, c’est Jésus-Christ sensible au cœur. »

— Oh oui ! s’écrie-t-elle. C’est cela exactement.