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rôle ! N’assurait-il pas avoir été reçu, à Versailles, par la reine de France, qui l’avait accueilli « avec une grande bonté, » et remercié chaudement de sa visite ? N’était-il pas intimement lié avec le fameux Mirabeau, qui l’avait pris pour confident et dont il se disait l’élève et l’adversaire en politique ? Tout prenait, dans ses hâbleries, l’allure épique ou théâtrale : ainsi exaltait-il la noble conduite de son beau-frère, Jérémie Vitel, qui, pour ne pas révéler le nom de Mercier, l’auteur anonyme du Tableau de Paris, imprimé dans ses ateliers, fut jeté à la Bastille, et refusa héroïquement d’acheter sa grâce au prix d’une dénonciation. Louis XVI, touché de ce beau trait, avait ordonné qu’on mît sur le champ ce Spartiate en liberté.

Soucieux de ne pas manquer une occasion de se créer des relations et d’accroître son importance. Fauche, durant l’un de ses séjours à Paris, sollicita et obtint son affiliation à la franc-maçonnerie. « C’était, dit-il, le besoin et l’obligation du moment ; qui ne pouvait se dire maçon n’était rien dans le monde. » Il reçut « les trois premiers grades » dans la loge delà Douce Union, grâce à la puissante protection de son confrère, le libraire Guillot, lequel devait, cinq ans plus tard, être condamné à mort et exécuté comme faux monnayeur. De retour à Neuchâtel, Fauche y fonda une loge maçonnique qui ne prospéra point : la capitale du Jura suisse était trop voisine de la France pour que les événements de Paris n’y absorbassent point, dès le printemps de 1789, toutes les attentions. Les émigrés, en juillet déjà, passaient en masse la frontière, les uns à pied, chargés de paquets, d’autres à cheval ou dans des voitures dont on ne pouvait distinguer les armoiries, tant elles étaient couvertes de boue ou de poussière ; les gens se tenaient à leurs fenêtres ou sur leur seuil pour voir le navrant défilé de ces proscrits volontaires ; les auberges de Neuchâtel furent bientôt remplies ; on dut loger les arrivants dans les maisons particulières, et Fauche obtint pour son compte l’honneur d’héberger plusieurs prêtres. Mais il fréquentait de préférence chez les émigrés à noms étincelants : de Rochechouart, de Champdivers, de Crillon, de Bombel, de Roquefort, de Montbarey ; ce dernier était prince, et Fauche-Borel réussit à l’obtenir pour locataire. Aux moins illustres, aux plus besogneux, il confiait une pacotille de ses marchandises et de ses catalogues qu’ils allaient colporter en Allemagne, en Suisse ou dans la haute Italie ; à