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ceux dont le nom présentait des garanties, mais qui se trouvaient momentanément dans l’embarras, il prêtait de l’argent, — « sur leur simple parole, » proclamait-il, — « contre de grosses lettres de change, » affirmaient les mauvaises langues. C’est ainsi qu’il devint royaliste ; il signala son zèle en imprimant le texte de cette Déclaration de Pilnitz, concertée, le 26 août 1791, entre les deux frères de Louis XVI et les souverains étrangers, premier manifeste de la coalition qui fut répandu à profusion dans toute la France.

Les avertissements ne lui manquaient pas, cependant : un drame dont fut victime son beau-frère Jérémie Vitel eût dû lui servir de leçon et le mettre en garde contre la politique. Vitel, à la suite de revers de fortune, avait résolu de s’expatrier ; il attendait à Genève une occasion de passer en Amérique. Par malheur, gagné à la cause monarchique par l’exemple de Fauche, en butte aux persécutions des jacobins genevois, accusé de pactiser avec les ennemis de la liberté, il fut condamné à mort et fusillé un jour de juillet 1794. Le malheureux laissait sans ressources sa femme et deux enfants, Edouard, qui approchait de ses quinze ans, et Charles, d’un an plus jeune. Celui-ci, apprenant la condamnation, courut vers le lieu du supplice, espérant peut-être attendrir les bourreaux : l’exécution était déjà terminée et il fallut arracher l’enfant du sol ensanglanté où le corps de son père venait de tomber. On retrouvera Edouard et Charles au cours de ce récit.

Un autre deuil dont Fauche-Borel ne dit mot dans ses copieux Mémoires mit en émoi les habitants de Neuchâtel : la mère de sa femme se suicida en se jetant dans le lac. Du fait de ce décès Mme Fauche-Borel héritait de la maison de la rue de l’Hôpital, déjà grevée, comme on l’a dit, de deux hypothèques. La librairie, même augmentée du commerce de vinaigre fondé par la défunte et dont Fauche continuait l’exploitation, n’était pas des plus prospères ; on ne s’enrichit pas en imprimant des brochures de propagande, voire la Déclaration de Pilnitz, ou des tragédies sur la mort de Louis XVI composées par des émigrés poètes. Pourtant il restait au ménage Fauche-Borel bien des éléments de modeste bonheur : il eût suffi que le père de famille consentit à raccourcir ses visées prétentieuses, à s’occuper de son négoce et à ne plus se croire promis aux grandes aventures. Mme Fauche était une bonne femme, très simple, très charitable