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par l’entourage de Son Eminence. Deux garçons naissent de cette union ; mais Montgaillard ne s’attarde pas aux délices du ménage : admis dans la noble société parisienne, fréquentant chez les ministres comme chez les beaux esprits, dès le début de la révolution il s’occupe d’agiotage, s’enrôle parmi les agents secrets de la Cour, se mêle aux préparatifs de la fuite du Roi, prête, — du moins s’en vante-t-il, — une forte somme d’argent à Louis XVI et, — toujours à l’en croire, — sacrifie le reste de sa fortune au salut de la Reine, captive à la Tour du Temple. Il passe en Angleterre, vient en Belgique, rentre en France ; il circule à sa fantaisie, quoique inscrit sur la liste des émigrés où son nom est bien vite rayé, — faveur insigne. Qui sert-il ? Les princes ou la révolution ? Qui le protège ? Il séjourne à Paris durant la Terreur, se montrant partout, même autour de l’échafaud quand la « fournée « vaut le dérangement. Au printemps de 1794, le voilà en mission au camp autrichien, poussant jusqu’au quartier général du duc d’York, obtient d’être présenté à l’empereur François II. Vient-il là, comme on l’a dit, en porte-parole de Robespierre ou tente-t-il à son propre et personnel profit d’engager quelque intrigue lucrative ? Il traverse « mystérieusement » les avant-postes des deux armées, trainant avec lui le ci-devant curé de son village natal, l’abbé Du Montet qu’il présente comme le précepteur, — in partibus, — de ses enfants. Le voilà de nouveau en Angleterre où l’envoie le duc d’York ; on y accueille comme un phénomène cet échappé de la Terreur, seul témoin oculaire et bien renseigné des tragédies parisiennes, déjà légendaires. Montgaillard devient à ce titre un objet de curiosité : on parle de lui dans les cercles de Londres, les journaux relatent ses récits ; il est reçu chez Pitt, mandé par le duc de Glocester, invité chez les ministres et chez les princes de la maison régnante ; il publie un pamphlet contre la République française où il se révèle parfaitement instruit des événements et des dessous de la politique ; puis, comme il est repassé sur le continent, se dirigeant vers la Suisse, il rencontre aux bords du Rhin un ancien camarade de Sorrèze qui le présente au prince de Condé. Et le voilà, changeant ses batteries et combinant de nouvelles manœuvres.

Le prince Louis-Joseph de Condé, qui commandait la petite armée des émigrés échelonnée sur la rive droite du Rhin, avait