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éclatant, il l’avait imaginé grand, robuste, exubérant et pourfendeur. L’aspect de ce chafouin, aux yeux perçants, au ton incisif et autoritaire, le décevait un peu ; mais le visiteur se montra si fervent royaliste, il avait tant d’esprit, parlait politique en diplomate si expérimenté et faisait preuve de tant d’usage du monde que Fauche fut subjugué et sentit grandir son importance, quand ce célèbre comte de Montgaillard, l’ami de Louis XVI et de la Reine, le commensal et le confident des princes et des hommes d’Etat de France, d’Allemagne et d’Angleterre, accepta, sans l’ombre de fierté, l’hospitalité que lui offrit le libraire et s’installa chez celui-ci pour y terminer son livre.

Fauche-Borel fut grisé par tant de condescendance : enfin il tenait à demeure un grand personnage, familier de toutes les Cours, avec lequel il lui était loisible d’échanger des considérations sur les événements et qui appréciait, lui, l’humble et bénévole dévouement du bon Neuchâtelois à la cause royale. De ceci Montgaillard ne se cachait pas, dût en souffrir la modestie de son hôte ; il laissait habilement traîner des lettres, ou même donnait lecture des rapports qu’il adressait au comte d’Antraigues dont les bureaux de Venise concentraient la correspondance des agents royalistes, avoués ou secrets, disséminés en France et à l’étranger. Dans ces rapports de Montgaillard, le libraire surprenait des passages tels que ceux-ci : — « J’avoue hautement les obligations que je dois à M. Fauche, car sa façon de penser honorerait le cœur des ministres... Les services qu’il a rendus à la bonne cause exigent la reconnaissance du Gouvernement, car c’est la chose publique qui est redevable à M. Fauche... » Et ces lignes plus enivrantes encore : — « Je n’ai point hésité à faire part de sa conduite à l’armée de Condé et si j’avais les moyens d’en instruire M. le Régent, je m’empresserais de mettre sous ses yeux les services, si j’ose dire, sublimes que M. Fauche rend à la monarchie française... »

A la joie d’être si hautement prisé, de savoir les grands de la terre informés de son nom et de ses mérites, se joignait la satisfaisante vanité de traiter en intime un gentilhomme de grand nom et de pouvoir dire, à tout bout de phrases, monsieur le comte, ou même, mon cher comte, et de produire un tel personnage aux Neuchâtelois émerveillés. Bref, Fauche déjà était envoûté et ne pouvait plus se soustraire à la maléfique