aussitôt : Mon cher Fauche, — et il sortit de là rayonnant d’orgueil, comprenant qu’il entrait de plain pied dans la grande histoire. Il avait obtenu dix jours de répit, afin de se préparer à ce rôle glorieux, et, dans la diligence qui le ramenait à Neuchâtel, il commença seulement à déchanter. En rentrant chez lui, il lui fallait instruire sa femme de l’extraordinaire expédition qu’il allait entreprendre : « Tu es un homme perdu ! » cria-t-elle en fondant en larmes. Lui-même ne dormit pas de la nuit. A l’aube, Mme Fauche recommença ses lamentations ; mais bientôt ses pleurs cessèrent ; elle se résigna héroïquement ; sans doute son mari lui fit-il comprendre que la rémunération de son sacrifice terminerait leurs soucis d’argent et assurerait leur avenir. Et puis, Montgaillard était là, remontant les courages, s’occupant des passeports nécessaires, s’ingéniant à trouver des motifs qui justifiassent le terrible voyage : le mieux serait que Fauche prit sur la route la qualité de négociant et déclarât venir en France pour y acheter des biens nationaux. Sous le prétexte de ne point laisser le libraire se lancer seul dans cette périlleuse aventure, mais en réalité pour lui donner un surveillant, Montgaillard fit choix d’un second Neuchâtelois, ex-agent secret du roi de Prusse, nommé Antoine Courant, qu’il avait étudié à fond et qu’il jugeait être « d’un sang-froid imperturbable et d’une exceptionnelle intrépidité. » Quand il vit les deux hommes bien lestés par ses soins de papiers faux et de références mensongères, il avisa le prince de Condé de leur prochaine visite, les mit en voiture, les « recommanda à Dieu « et partit pour les environs de Bâle, où il allait paisiblement « attendre de leurs nouvelles. »
On était au cœur de l’été de 1795 ; quand Fauche et son acolyte parvinrent à Mulheim, le prince de Condé hésitait de nouveau. Il craignait d’agir sans l’autorisation expresse du Régent qui, depuis quelques jours, s’était, à Vérone, proclamé Roi de France et de Navarre sous le nom de Louis XVIII, par droit de succession au petit prisonnier du Temple dont on avait récemment annoncé le décès. Pourtant, Condé consentit à ce que Fauche tentât personnellement auprès de Pichegru une première démarche ; il ordonna qu’on remît au libraire 7 200 francs pour ses frais. Le 26 juillet. Fauche et Courant, retrouvaient à Bâle Montgaillard qui, de cette ville, assumait sans danger « la direction principale de la négociation » et