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auquel les deux émissaires devaient adresser leur correspondance. Puis, le 29 au matin, ils se mirent en route, se dirigeant, à tout hasard, vers Strasbourg.


Quelques cents mètres après les barrières de Bâle est la frontière française. Il y a là un poste de douaniers et de soldats. La chaise de poste qui porte Fauche et Courant doit s’arrêter ; on examine leurs passeports : « citoyens suisses ; » aucune difficulté. La voiture poursuit sur le pavé d’Alsace, laissant à droite le chemin d’Huningue, première forteresse française dont on aperçoit les bastions à travers les arbres. Le soir même, les voyageurs entrent à Strasbourg par la porte ci-devant Dauphine. Dès le lendemain, Fauche se met en campagne : il apprend que Pichegru séjourne à Illkirch, village situé à six kilomètres au Sud de Strasbourg ; il s’y rend. On approche assez facilement du général, auquel les Alsaciens font fête ; mais trois représentants du peuple, Rivaud, Rewbel et Merlin de Thionville, ne le quittent guère et on ne peut songer à l’aborder en leur présence : les commissaires de la Convention sont investis de pouvoirs illimités ; ils ont sur les citoyens droit de vie et de mort, et un étranger trouvé, en temps de guerre, dans un camp retranché, est voué, sans espoir de miséricorde, au peloton d’exécution. Le 11 août, le bruit se répand que le général part pour Huningue ; sur le champ, Fauche court à la poste, commande des chevaux, monte en voiture et le voilà roulant de nouveau sur cette grande route d’Alsace qu’il a parcourue en sens inverse quelques jours auparavant. Son projet n’est pas de pénétrer dans Huningue, forteresse alors renommée, mais de s’arrêter à Saint-Louis, qu’on appelait en ce temps-là Bourg Libre, et qui est situé à la bifurcation des routes de Strasbourg et de Paris à Bâle. Pourtant, comme sa voiture fait halte à Gross-Kembs, le dernier relai, tandis qu’on change les chevaux, le maître de poste, trompé par l’apparence du voyageur et le prenant pour un commissaire de l’armée, le prie de vouloir bien permettre qu’on place dans le coffre de sa chaise un panier de comestibles attendu par l’aubergiste d’Huningue où le général doit diner avec son état-major et les commissaires de la Convention. Fauche s’empresse d’accéder à la proposition : elle lui offre un moyen imprévu de pousser jusqu’à Huningue même et de pénétrer dans l’auberge où se trouve Pichegru. Deux heures