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Çréclame la lettre, la lit d’un regard, et la remet à Fauche. Il consent donc à négocier : l’affaire est « dans le sac, » la Restauration imminente et Fauche va se trouver millionnaire.

Dès son troisième voyage en Alsace, il y arrive cousu d’or : 112 000 livres qu’il a reçues de Wickham, le chargé d’affaires anglais en Suisse. Se représente-t-on ce que peut être un tel trésor en ce pays de France où l’assignat de cent francs vaut douze sous et où la monnaie d’or et d’argent, voire de billon, a depuis longtemps disparu ? Sans doute Fauche en a-t-il laissé quelque chose à Neuchâtel, où il s’est arrêté ; mais c’est encore en Crésus qu’il arrive au camp républicain. Il comble de cadeaux et de « pourboires « ces malheureux officiers français qui ne reçoivent plus que 8 livres par mois en numéraire : il leur donne des montres, des bas, du linge. L’adjudant général Badouville, l’aide de camp et le confident de Pichegru, — Coco ou Cupidon de son nom de guerre, — s’attache aux pas du Suisse opulent, ne « le quitte plus, » se refuse à le laisser partir, — et quand il lui écrit, signe : votre ami pour la vie. Fauche distribue adroitement des boites, des souliers, des pièces blanches à nos pauvres soldats exténués de misère : — « distribution, écrit-il, que j’ai l’air de faire uniquement par compassion, en me récriant sur les torts de la Convention de les laisser manquer de tout. » Il répand des brochures pour « éclairer « les troupes, et paie 100 louis par an le rédacteur de la Gazette des Deux Ponts, afin qu’il rédige sa feuille « dans le sens le plus convenable. » Hélas ! Pichegru lui-même est atteint par ses générosités : on éprouve une sorte de honte attristée à lire dans Fauche-Borel la page où il rapporte comment, ayant relancé jusque dans sa retraite d’Arbois le vainqueur de Menin, il lui glisse furtivement sous sa couverture un rouleau de 500 louis. Même lui, l’acheteur de consciences n’ose pas mettre cet or dans la main du glorieux héros ; un vestige de pudeur lui interdit ce geste offensant ; peut-être sent-il qu’exciter le mépris du général contre les politiciens de Paris, émousser son énergie, éteindre dans son came démoralisée à l’égal de tant d’autres la flamme patriotique, c’est aussi souiller à Jamais la gloire du plus fameux et du plus aimé des généraux de la République.


Montgaillard s’était flatté, on l’a vu, de diriger la négociation. C’est par ses mains que devaient passer tous les rapports