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de Fauche ou de ses acolytes au prince de Condé, rapports qu’il se chargeait d’avantager en magnifiant son propre rôle d’initiateur et en atténuant de son mieux celui de ses collaborateurs. Mais avec son esprit fûté, il ne fut pas longtemps à s’aviser qu’il était dupé par ses compères. Fauche s’engraissait de l’aventure, tandis que lui, qui l’avait conçue et machinée, vivait de maigres subsides incessamment quémandés. Dès le début de 1796, il se confine à Rheinfelden avec son petit garçon âgé de neuf ans et son fidèle Du Montet. Durant trois mois, il affecte de ne plus se mêler de l’intrigue ; mais reste-t-il aussi oisif qu’il veut le paraître : Fauche le soupçonne, dès cette époque, de vendre bribe à bribe les secrets de la négociation aux agents du Gouvernement français. Le 22 février, le Directoire a donné l’ordre d’arrêter Fauche et Courant comme « espions des émigrés et des ennemis de l’extérieur : » qui donc, si ce n’est Montgaillard, a livré leurs deux noms ? Quand, au printemps de 1796, Pichegru est relevé de son commandement et rappelé à Paris, Montgaillard encore est-il tout à fait étranger à cette disgrâce ? Constatant dès lors que sa combinaison ne lui a pas procuré tout le bénéfice qu’il espérait, il l’abandonne ; mais il essaiera cependant d’en tirer profit, — en la dénonçant. Et le voilà en route vers l’Italie, par Carlsruhe, Stuttgart, Anspach, Munich où il s’arrête quelques jours en août. Ce diable d’homme jouit d’immunités singulières ; ses poches sont bourrées de passeports de toutes mains ; il voyage dans l’Europe en guerre plus facilement qu’on ne circule dans les rues de Paris. Le 2 septembre, il arrive à Venise, se présente audacieusement chez Lallement, ministre plénipotentiaire de la République française, diplomate de carrière, déjà âgé, « sans talent, mais de jugement sain et d’esprit conciliant. » Montgaillard déclare au représentant de la France qu’il est prêt à servir désormais la nation avec autant de zèle qu’il en a mis à servir les Bourbons, « non point, certes, par intérêt ou par ambition ; c’est à la gloire de son pays qu’il désire s’associer. » Encore tout chaud de cette protestation patriotique, il court chez d’Antraigues qui est à Venise l’agent principal de Louis XVIII et le grand dépositaire des secrets de l’émigration ; Montgaillard met à son service son dévouement bien connu pour la cause de la monarchie légitime et, afin de montrer son savoir-faire, il détaille toute l’intrigue Pichegru,