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citant les noms des négociateurs, spécifiant les dates de leurs tentatives, les résultats obtenus, ceux qu’on escompte encore, — renseignements précieux dont d’Antraigues, qui prend note et se tient au courant de tout, s’empresse de rédiger, sous la dictée de son visiteur, un copieux exposé. Là-dessus, Montgaillard quitte Venise ; il n’a plus rien à y faire. Il voudrait bien gagner Milan où se trouve un « petit gueux « de général, nommé Bonaparte, dont on parle beaucoup et qui, sans doute, serait « à vendre : » mais son flair diabolique l’avertit que cette affaire-là n’irait pas sans difficultés ; aussi, repoussé aux avant-postes, il n’insiste pas, remonte vers le Tyrol, revient à Mulheim, y retrouve le prince de Condé, recommence à protester de son indéfectible attachement à l’auguste famille des Bourbons. Il est reçu froidement, lève le masque, insinue qu’il renonce à la politique, qu’il désire rentrer en France et qu’il y emportera toutes les lettres confidentielles à lui adressées au temps de l’affaire Pichegru par le prince de Condé, si celui-ci ne lui paie pas 12 000 francs cette correspondance compromettante pour un si grand nombre de gens. Le prince s’engage et Montgaillard s’éloigne au plus vite emportant la traite, — et les papiers. Fauche-Borel se lance à sa poursuite : il est d’autant plus intéressé à rejoindre Montgaillard qu’il a prêté à celui-ci 75 louis et que son nom se trouve cité à chacune des pages dont le portefeuille du fugitif est bourré. Il suit sa piste jusqu’à Neuchâtel, le découvre à l’Hôtel du Faucon ; discussion acerbe, rixe, lutte violente, pugilat dont Fauche sort victorieux, emportant, sinon les précieux documents, du moins l’indication de la cachette où ils sont déposés. Il les y dénicha et les expédia à Louis XVIII sans se douter que les plus importants avaient été soustraits ou copiés par Montgaillard qui, muni de ce viatique et, sans doute, d’autres talismans tout aussi puissants, rentra en France, quoique émigré, sans l’ombre de difficultés, avec la conviction que la démoniaque vengeance dont il avait perfidement jeté les germes lui promettait une prochaine revanche.

En quoi il prévoyait juste. Quelques jours plus tard, — le 16 mai 1797, — l’armée française prenait possession de Venise : d’Antraigues en fuite était arrêté le 21 à Trieste et conduit au quartier-général de Bonaparte ; on saisissait sur lui la relation détaillée, dictée par Montgaillard, des conciliabules criminels de Fauche-Borel avec Pichegru. Bonaparte envoya la pièce au