Directoire qui la reçut vers le 20 ou le 25 juin, et si elle ne constituait pas une preuve positive de la trahison, elle fournissait du moins une arme terrible contre le général Pichegru qui, un mois auparavant, avait été élu président du Conseil des Cinq Cents. La popularité du conquérant de la Hollande était grande ; tout le monde en France pressentait que « la République finirait par un militaire, » et les partis attendaient de Pichegru quelque manifestation décisive. Les Directeurs eux-mêmes, dont la majorité lui était hostile, le ménageaient et le comblaient d’hommages. Lui, imperturbable, de caractère peu liant, méfiant et soupçonneux, « laissait dire, laissait faire et se taisait. » Très modestement installé au quatrième étage d’une maison de la rue du Cherche-Midi, il ouvrait lui-même sa porte aux visiteurs, paraissait fier de son humble origine et dédaigneux des avantages auxquels lui donnait droit son illustration.
Cet été de l’an V fut une singulière époque : la France entière et particulièrement les Parisiens vivaient dans l’état d’esprit des spectateurs d’un drame auxquels un entr’acte accorde quelques instants de répit. On savait que, au signal d’un régisseur inconnu, le rideau allait se relever sur quelque chose de nouveau, mais on ignorait sur quoi. Comme unanimement on jugeait impossible le maintien du régime actuel, comme les élections du printemps avaient amené aux deux Chambres une majorité nettement anti-révolutionnaire, on prévoyait imminente la création d’un gouvernement provisoire avec Pichegru dictateur, — Pichegru, le soldat victorieux qui s’empresserait de restaurer la Monarchie. La Constitution ne fournissait, d’ailleurs, au Directoire aucun moyen légal de résister aux volontés des deux Conseils : elle ne lui attribuait le droit ni de les dissoudre, ni de proroger leurs sessions, ni d’ajourner l’exécution de leurs décrets. En cas de conflit, un seul moyen : le coup de force : mais, de l’avis général, ni l’adroit Barras, ni le chétif La Réveillère, ni le rapace Rewbel n’assumeraient la responsabilité d’un si téméraire expédient : les deux autres directeurs, Carnot et Barthélémy, par haine de leurs collègues, étaient acquis à la réaction. Ce qu’on ignorait, c’est que Barras et ses compères du « triumvirat, » grâce aux astucieuses indiscrétions de Montgaillard, tenaient en réserve, contre Pichegru, une arme formidable et s’apprêtaient à le terrasser en le signalant au peuple comme un traître à la patrie, ayant