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reçu à son quartier-général les émissaires des ennemis de la France et accepté l’argent de l’étranger.

Le Directoire avait massé des troupes à proximité de la capitale ; Augereau et ses hussards étaient à Paris, prêts à sabrer les royalistes ; mais ceux-ci se sentaient en force : les chefs des Vendéens et des Chouans circulaient audacieusement par la ville comme en pays déjà conquis : on y rencontrait Frotté, Bourmont, d’Autichamp, Bruslart, La Rochejacquelein, Rivière, Polignac, Puyvert, tous ceux qui, depuis cinq ans, conduisaient à « la chasse aux Bleus » les paysans du Bas-Poitou, du Maine et de Normandie. Les émigrés rentraient en foule, grâce à de faux certificats de résidence fabriqués à Londres et qu’on vendait aux arrivants dans tous les ports de débarquement ;on s’en procurait même, moyennant finance, dans les bureaux des ministères et bien des gens assuraient que Barras amassait une fortune à ce commerce vaguement clandestin. Ces revenants menaient joyeuse vie ; dans leur joie de fouler enfin le pavé de ce Paris tant regretté, ils se montraient aux restaurants en vogue, aux maisons de jeu, pêle-mêle avec les mouchards de Barras et les officiers de la garde directoriale. Le 17 fructidor, au restaurant situé à l’angle de la rue du Bac, face au Pont ci-devant Royal, un dîner réunissait dans la salle du bas les principaux chefs royalistes, tandis que, au premier étage, festoyaient Augereau et son état-major. Chaque soir, dans tous les salons de la ville, on coudoyait des gens « frais débarqués d’au delà du Rhin, d’Angleterre ou de Vendée, chacun ayant un nom de guerre et conservant un demi-incognito, car, pour un incognito complet, cela leur était impossible, » tant était incorrigible leur étourderie et communicative leur belle confiance. Ces hommes aimables se préparaient au branle-bas par des badinages et des jeux de mots : on aurait cru, à les entendre, que quelques plaisanteries devaient suffire pour renverser la République : ils surnommaient les Directeurs : les cinq schillings, parce que cinq schillings font en Angleterre la monnaie d’une couronne ; le Luxembourg était devenu la maison de Saint-Cyr, — (de cinq Sires ;:) — on s’extasiait de cette calembredaine d’un joueur : « nos cartes sont singulièrement brouillées ; nous avons, dans le jeu, cinq rois (les directeurs), six valets (les ministres)j en revanche, nous manquons de cœur, nous sommes environnés de piques et les républicains resteront sur le carreau. »