Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fauche-Borel s’indignait de la légèreté de « ces Décius à collets noirs ; « car, on le pense bien, estimant sa coopération indispensable aux grands événements en expectative, il était accouru à Paris. Dès le milieu d’août, installé rue de Richelieu, à l’Hôtel du Nord, il jugeait que Pichegru, indolent par nature, avait besoin d’une direction forte et d’encouragements stimulants ; de la réussite éventuelle du général dépendait, d’ailleurs, pour Fauche-Borel lui-même, le gain du million promis par le prince de Condé, sans compter d’autres avantages également appréciables et, chaque matin, il allait, en grand mystère, rendre visite au futur dictateur, afin de l’éclairer de ses lumières ; depuis deux ans il le harcelait de considérations politiques et le gardait, pour ainsi dire, à vue, comme on garde un billet de loterie sur lequel on compte pour gagner le gros lot. C’est une question de savoir si véritablement Pichegru acceptait bouche bée les délayages dont était prodigue le Neuchâtelois, ainsi que celui-ci s’en flatte, ou si, au contraire, comme le raconte Nodier, le général, excédé de cette éloquence, en reconduisant un jour le libraire jusqu’au bas de l’escalier, dit à son aide de camp : — « Lorsque monsieur reviendra, vous me rendrez le service de le faire fusiller... »

Ce qui importe, au surplus, c’est seulement de constater l’importance que s’attribuait Fauche ; persuadé qu’il était l’un des piliers de la cause royaliste, il se montrait partout, affairé, ardélion, surchargé de démarches et de préoccupations, courant de l’un à l’autre, « se concertant avec ces messieurs, » fier d’être écouté, — un peu distraitement peut-être, — par les chefs illustres du parti, M. le comte de Bourmont, M. de Frotté, M. le prince de la Trémoille, et détonnant à coup sûr, parmi ces muscadins héroïques, mais d’allure insouciante, par le ton solennel qu’il affectait maintenant, parlant de soi-même et de ses exploits diplomatiques « avec l’aplomb d’un théologien qui prêche le dogme. » Il avait eu plusieurs fois l’honneur d’entretenir Sa Majesté Louis XVIII ; Mgr le prince de Condé n’entreprenait rien sans prendre ses avis ; cette haute faveur, dont il ne faisait pas mystère, — au contraire, — lui valait une sorte de prestige aux yeux de ces braves royalistes qui, depuis cinq ans, guerroyaient pour ces princes qu’ils n’avaient jamais vus. Fauche était si certain du succès qu’il n’avait même pas pris la précaution de déposer à la police son passeport sous un faux