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se passe et je reviens aussitôt. » Fauche se glisse dans la maison et retrouve un peu de son calme ; mais le commis reparaît, tout pâle ; il vient de lire les placards ; il a vu... Il craint d’être compromis et ne cache pas qu’il préférerait que son visiteur cherchât un autre asile. Fauche obtient de rester là jusqu’au soir ; sortir avant la nuit serait risquer la mort. Et le voilà, tapi dans une armoire, tandis qu’un commissaire de police, survenu vers midi, procède à une visite domiciliaire.

A la nuit close, il vaguait dans les rues désertes, dont seules rompaient le silence les galopades des hussards d’Augereau ; il traversa les ponts sans malencombre, s’enfonça dans le faubourg Saint-Germain et parvint rue Saint-Dominique au ci-devant hôtel de Luynes. Un avocat provincial, installé depuis quelque temps imprimeur à Paris et nommé David Monnier, a loué une partie de cette noble et vaste demeure pour y installer ses presses dans les grands salons dévastés. Fauche a correspondu jadis pour affaires de librairie avec ce David Monnier et celui-ci le reçoit joyeusement : « Vous êtes chez vous, dit-il, et vous êtes en sûreté ; à la moindre alerte vous n’avez qu’à tirer le cordon que voici... » Il le tire lui-même, une porte dérobée s’ouvre et découvre une cachette pratiquée dans l’épaisseur du mur. Monnier conduit ensuite Fauche au jardin de l’hôtel ; dans le tronc des vieux arbres voisins de la clôture sont fichées de solides chevilles de fer, formant échelons au moyen desquels on peut atteindre la crête du mur et sauter dans la rue de Grenelle. La maison est ainsi machinée depuis le temps de la Terreur. Après avoir de la sorte rassuré le proscrit contre les dangers d’une perquisition improbable, Monnier l’installe dans « un bel appartement meublé en satin jaune, » vestige de splendeurs abolies. L’imprimeur semblait, du reste, accepter d’un cœur léger la catastrophe du jour ; le premier soir on prit le thé, en famille ; le lendemain on eut pour invité « un Anglais « qui pouvait, à l’occasion « rendre de grands services. » « L’Anglais » revient le jour suivant et cette fois la rondeur et la bonhomie de Fauche le séduisirent si bien qu’il divulgua sa véritable personnalité : il n’était pas étranger, se nommait Botot et remplissait depuis plusieurs années les fonctions de secrétaire particulier de Barras qui l’honorait de ses plus intimes confidences. Le Neuchâtelois ne fit pas non plus mystère de son identité : il proclama qu’il était « ce fameux