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Fauche-Borel, » dont le nom flamboyait sur toutes les murailles et il insista sur ce point « qu’il ne fallait pas voir en lui un émissaire royaliste subalterne, mais l’un des agents principaux de Sa Majesté Louis XVIII » ; même il exhiba au secrétaire de Barras « les pouvoirs qu’il tenait directement du Roi. »

Botot prit très bien la chose : on causa des événements ; Fauche vanta la générosité et le haut esprit politique des princes dont il possédait « toute la confiance ; » le secrétaire de Barras exalta de son côté la mansuétude et la puissante intelligence de son maître ; on se quitta très bons amis.

Rien ne permet de mieux pénétrer la frivole psychologie de Fauche-Borel que son propre aveu des illusions dont sa pauvre cervelle était hantée en ces terribles jours de Fructidor. Pichegru, qu’il a perdu et qu’il disait aimer, part pour Cayenne ; les nobles amis dont le libraire était si orgueilleux la veille sont emprisonnés ou fugitifs ; le parti qu’il servait se trouve brutalement anéanti : lui-même est réfugié chez un inconnu, tandis que les sbires du Directoire le pistent par toute la ville... Il oublie tout cela ; sa pensée est entière à la combinaison d’une nouvelle intrigue ; il va maintenant « corrompre » Barras, lui acheter la France pour la rendre aux Bourbons ; le million perdu sur Pichegru, il le gagnera sur Barras ; déjà se développent en son esprit toutes les phases de ce mirifique projet ; par Monnier il aura Botot, par Botot il aura le Directeur ; dans l’Europe enfin pacifiée grâce à son génie diplomatique, il se voit gratifié d’honneurs et de richesses par les souverains reconnaissants, admis à la Cour des Tuileries, anobli, titré, chevalier des ordres du Roi, directeur de l’Imprimerie royale de France... Il rêve à ces choses éblouissantes, la main sur le cordon de la cachette où il se jettera en cas d’alarme, et guettant le bruit assourdi du pas lourd et cadencé des patrouilles guidées par les policiers qui le cherchent.


G. LENOTRE.