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LE « SALON VERT »


Les années qui s’écoulent ainsi de 1835 à 1842 marquent pour Augustin Thierry l’apogée de la réputation et de la gloire. Ce sont les meilleures et les plus belles de sa vie. Fauriel, Chateaubriand lui-même s’inspirent de ses écrits ; avide de recueillir ses enseignements, de mettre à profit ses conseils, toute une ardente et jeune génération d’érudits, les Louandre, les Lalanne, les Bourquelot, les Tiby s’empresse d’appliquer sa méthode. Nul historien n’a encore exercé en France une influence si profonde et si durable. Le respect universel l’environne, qu’accroit encore le prestige du malheur. Sur sa tête les honneurs s’accumulent [1].

Sa santé même s’était améliorée. La cécité comme la paralysie des jambes restaient incurables, mais les douleurs nerveuses lui laissaient parfois quelque répit [2].

Pour sauvegarder sa fragile existence, il fallait à ce malade un train de vie minutieusement ordonné.

Augustin Thierry se levait tôt, avant huit heures et dictait jusqu’à son déjeuner qu’il prenait à dix. De onze à deux heures, trois fois la semaine, il recevait ses collaborateurs pour apprécier le résultat de leurs découvertes et leur donner ses directions, il dinait à trois heures, se remettait au travail jusqu’au soir et de neuf à onze, après un souper léger, accueillait les visiteurs qui se présentaient au passage Sainte-Marie.

L’été, cette règle quasi-bénédictine supportait des adoucissements. Tous les ans, les beaux jours arrivés, l’historien allait s’établir aux environs de Paris. Installation modeste dans quelque pavillon meublé, à laquelle il ne demandait qu’un jardin spacieux et le voisinage des bois. De 1836 à 4843, on le voit ainsi successivement séjourner à Rosny, a Versailles, où le bibliothécaire du château, M. Vallery, lui a trouvé un logement dans le parc, à Ville-d’Avray, chez Villemain, à Montmorency, à Bellevue, à Grosbois, à Choisy-le-Roi enfin.

  1. Il a été fait officier de la Légion d’Honneur en 1837. Successivement l’Académie royale de Munich, l’Ateneo de Venise, la Société royale de Copenhague, l’Académie de Washington lui décernaient leur diplôme démembre honoraire.
  2. Le Journal de Santé d’Augustin Thierry constate cette amélioration durant les années 1838, 1839 et la plus grande partie de 1840. Le malade souffre cependant d’insomnies fréquentes que l’on combat avec des pilules d’opium.