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Mérovingiens vivait avec sa femme dans la plus étroite intimité de cœur et d’esprit.

Un témoin de leur vie commune [1] l’a constaté. » Elle était à la fois son œil pour lire et sa main pour écrire : nuit et jour elle épiait ses maux et ses inspirations pour calmer les uns et recueillir les autres. » L’éloge, en dépit de calomnies trop faciles, n’a rien de complaisant ni d’excessif. Julie de Quérangal avait noblement accepté sa mission ; elle en remplissait généreusement les obligations austères. Tirant de ses origines bretonnes un penchant au mysticisme, profondément religieuse par surcroît, elle se consacrait tout entière au rôle qu’elle avait choisi d’être l’ange gardien, la providence d’une âme d’élite emprisonnée dans un corps souffrant. Garde-malade, elle prodiguait sans lassitude à l’infirme les soins les plus diligents ; compagne d’un écrivain illustre, elle s’employait de tout son effort à le seconder.

En retour, l’historien vouait à celle qu’il avait baptisée son « Antigone » une affection sans bornes. Les marques de sa tendresse et de sa reconnaissance se rencontrent à chaque instant dans sa correspondance intime. Elle est sa « force, » sa « consolation, » tout son « bien en ce monde, » l’ « intérêt vivant de sa pensée [2]. »

C’est qu’en effet Mme Augustin Thierry ne se contentait pas seulement d’être pour son mari la plus vigilante et la mieux attentionnée des compagnes. Créatrice de bonheur, elle avait su animer sa solitude et transformer sa vie. Depuis dix ans qu’un mal implacable l’avait terrassé et durant sa retraite en province, le vide, malgré sa gloire, s’était lentement fait autour de l’aveugle. L’absence refroidit les plus chers attachements et les relations meurent qui cessent d’être entretenues. Exilé du monde par la cécité, immobilisé par la paralysie, incapable le plus souvent de se faire porter jusqu’à l’Institut, que pouvait essayer l’infirme pour lutter contre cet abandon ? Il en avait souffert à la fois dans son légitime orgueil et dans ses plus tenaces illusions d’amitié. Si la résignation l’avait à la longue emporté, ce n’était pas du moins sans amertume, ni sans mélancolie.

  1. Joseph Guigniaut.
  2. Lettres à Amédée Thierry, à Marc d’Espine, à Arnold Scheffer, à Mlle Fressigne, etc.