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A peine installée à Paris, Julie de Quérangal se préoccupa de renouer le faisceau rompu des liaisons anciennes et d’en former de nouvelles, parmi les savants et les écrivains, que pouvait attirer la réputation de son mari.

Elle y réussit aisément. L’appartement du passage Sainte-Marie devint bientôt le centre des réunions les plus attrayantes.

Chaque mercredi, le « salon vert « accueillait des hôtes de choix. Bien modeste cependant ce salon, et tel qu’en rougirait aujourd’hui le moindre gribouilleur. Il tirait son nom d’un meuble empire recouvert en lampas. Sur la cheminée, une pendule en marbre Campan, supportant une Clio couronnée de lauriers, pinçant de la cithare. Aux murs, quelques bonnes gravures de Calamatta, d’après Ary Scheffer : Françoise de Rimini ; Faust et Marguerite et deux grands portraits se faisant face : celui du maître du logis par Henry Scheffer, belle toile de composition romantique, l’un des succès du salon de 1839, pour lequel Augustin Thierry avait pu donner quelques séances à l’artiste dans son atelier de la rue Notre-Dame de Lorette et celui de l’amiral de Quérangal, sans l’ancien uniforme rouge et bleu des officiers de la marine royale, poudré à frimas, le porte-voix à la main, sur le pont de sa frégate.

Les invités n’étaient jamais bien nombreux, une douzaine au plus, mais tous d’éminente qualité. Sur les listes, je relève les noms de Michelet, Villemain, Victor Cousin, Henri Martin, Mignet, Désiré Nisard, Félix Ravaisson, Patin, Auguste Trognon, les frères Scheffer, Alfred Nettement, Magnin, J.-J. Ampère, Fauriel, Guigniaut, Ludovic Lalanne, Ozanam, H. Fortoul, Egger, Letronne, Monselet, Géruzez, J.-V. Leclerc.

Parmi les femmes, Mme Villemain mère, Cornélie Scheffer, H. Martin, D. Nisard, Ancelot, Mélanie Waldor et la plus assidue d’elles toutes, la bellissima principessa milanese, l’apôtre du Risorgimento, la lionne de tous les lions, tout à la fois conspiratrice, femme de lettres et fastueuse mondaine : la princesse Belgiojoso.

Depuis leur rencontre à Carqueiranne, Augustin Thierry était resté en rapports avec la belle enthousiaste. Revenue en France pour servir la cause italienne, elle aurait voulu gagner l’appui du gouvernement de Louis-Philippe, convertir Guizot à ses projets. Sur sa demande, l’historien était intervenu auprès de Mme Guizot, la priant de lui ménager un entretien avec son