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mari. La réputation tapageuse de la femme avait contrarié les intentions de la patriote, fait échouer cette démarche obligeante.

N’ayant pu jouer le grand rôle auquel elle aspire, rentrée en possession de ses biens un moment confisqués par l’Autriche, l’astutissima se contente à présent de recevoir, à grand fracas, en son hôtel, rue Neuve-Saint-Honoré, la fleur du dandysme, de la littérature et des arts. Cependant, elle quitte volontiers son oratoire gothique, sa salle à manger pompéienne, les splendeurs de sa chambre à coucher bleu et argent, même la cour d’amour empressée à lui plaire : Mignet, Bellini, Liszt, Henri Heine, Musset... Mignet surtout, pour venir « entendre causer « au passage Sainte-Marie.

J’ai déjà dit quel magicien de la parole était Augustin Thierry. Comme il avait autrefois ébloui les hôtes de Carqueiranne, il émerveilla Louis de Loménie, au cours d’une rencontre à Montmorency. Je ne puis mieux faire que de citer ici l’auteur de la Galerie des Contemporains illustres par un homme de rien :

« J’ai entendu beaucoup de gens qui ont la réputation de bien parler et qui parlent bien, mais je n’ai peut-être rien entendu qui égalât en facilité, en netteté, en élégance, l’élocution de M. Augustin Thierry ; c’est sans doute l’habitude de la dictée qui lui a donné cette conversation qui ressemble à du style ; toujours est-il qu’on peut dire de lui, en se servant d’une comparaison très connue, que sans effort aucun, sans prétention aucune, il par le réellement comme un livre. »

Quand ses partenaires étaient les hommes dont je rappelais les noms tout à l’heure, on voit à quels sommets pouvait atteindre la conversation.

Ces causeries sans égales étaient coupées d’intermèdes musicaux. Liszt, amené par la princesse Belgiojoso, s’emparait du piano ; Pauline Garcia, l’inoubliable Rosine, toute nouvellement mariée à Louis Viardot, que l’historien avait connu au Globe, égrenait de sa voix enchanteresse quelque mélodie de Mozart, pour lequel Augustin Thierry professait un véritable culte.

Parfois encore, les habitués du u salon vert « se voyaient conviés à quelque savoureux régal littéraire. Au mois de mai 1841, » l’Homère des prolétaires, » ainsi que l’avait qualifié