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laissé, quand j’espérais retrouver le calme, des accès de malaise nerveux qui me tourmentent fréquemment et sont quelquefois intolérables. Le seul remède à tout cela serait le repos d’esprit, mais l’état des affaires publiques ne le permet guère. Depuis quatre mois, nous marchons de périls en périls. Ils s’accumulent et se pressent de telle sorte que jamais rien de semblable ne s’est vu. Trois hommes viennent de faire un grand acte de dévouement patriotique : MM. Guizot, Villemain et Duchâtel. Que Dieu leur soit en aide à eux et à la France ! Au milieu des événements qui menacent de bouleverser l’Europe, votre Suisse enveloppée dans sa neutralité sera le dernier refuge de la paix. Je vous en félicite et je vous porte envie.

« Adieu, mon cher ami, embrassez pour moi votre père avec lequel je me trouve aujourd’hui en parfaite harmonie de sentiments, ce qui me donne du remords de nos anciennes disputes, présentez à madame votre mère et à miss Mary l’hommage de mes plus tendres respects et croyez que je vous aime de tout mon cœur. »

Dans les dernières lettres que je viens de transcrire, on a pu voir à diverses reprises Augustin Thierry, tout secoué d’angoisses patriotiques, faire appel à la miséricorde divine en faveur de la France. Ce n’est point là seulement pur effet de style : non, celle invocation est sincère. Il s’accomplit en effet dans son âme un lent travail de retour à la foi de son enfance. L’évolution encore presque insensible n’en est pas moins certaine et nous avons vu s’en manifester les premiers symptômes après la mort de son père. Le temps n’est plus, — il le reconnaît lui-même, — où son indifférentisme scandalisait l’honnête M. d’Espine. Grâce à l’éducation familiale, très attaché dans sa première jeunesse aux pratiques du catholicisme, il a bien pu s’en détacher par la suite, mais spiritualiste fervent, intus et in cute, sans jamais devenir anti-religieux. L’athéisme de d’Holbach ou d’Helvétius, l’hostilité même d’un Quinet ou d’un Michelet n’est point du tout son fait. Si dans ses polémiques du Censeur Européen et l’enfièvrement de la lutte, durant une époque de réaction outrancière, il se laisse parfois entraîner contre l’Église à des violences de plume dont on retrouve encore l’écho dans l’Histoire de la Conquête, elles ne sont point dirigées contre le christianisme, mais contre les abus ou les iniquités qu’on prétend abriter de son nom.