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dissidence imprévue aurait-elle été pour nous le commencement d’une vive amitié. Je le crois, madame, et durant vos longues angoisses pour celui que vous pleurez et qui avait tant de gloire et tant d’amis, j’ai partagé du fond de ma retraite, la sympathie universelle. Je vous rends grâce d’avoir bien juge mes sentiments à cet égard et je suis fier d’un témoignage d’estime où se montre, si noble et si touchante, l’expression de votre douleur filiale.

« Veuillez agréer, madame, et offrir à Mme Nodier, l’hommage de mes très humbles respects. »


L’été de 1842 était venu, cette année-là, particulièrement orageux et brûlant. Un juillet torride incendiait la plaine et desséchait les bois. Retiré à Montmorency, pour y chercher un peu d’ombre et de fraîcheur, Augustin Thierry subissait la dépression d’une température épuisante, souffrant d’étouffements et d’angoisses nerveuses qui lui rendaient tout travail à peu près impossible.

Sentant décroître ses forces, envisageant sa fin prochaine et soucieux d’arrêter en faveur de sa femme ses dispositions dernières, il avait convoqué son notaire le 14, afin de lui dicter un testament en bonne forme.

Me Rousse, en arrivant tout contristé, apprit à son client l’accident fatal survenu la veille au Duc d’Orléans.

Cette nouvelle qu’on lui cachait encore jeta l’écrivain dans un abattement consterné. Il avait, au prince, les plus grandes obligations et lui vouait, en retour, une reconnaissance sans réserve. En lui confiant la garde honorifique et rétribuée de sa bibliothèque, Ferdinand-Philippe avait mis fin à l’exil infécond de son protégé ; leurs relations depuis lors étaient demeurées chez l’un toutes pleines de respectueuse confiance, chez l’autre d’estime amicale et de courtoise simplicité.

L’historien comptait en outre les plus chaudes amitiés parmi l’entourage et les familiers du malheureux prince ; atterré par la catastrophe qui frappait la monarchie, en redoutant le pire, rien d’étonnant qu’il fût, par surcroit, affligé comme d’un malheur personnel, par la mort tragique qui brisait tant d’espérances.

Sa douleur se montre dans la lettre qu’il écrivit le surlendemain à Ary Scheffer, lorsqu’il eut retrouvé un peu de calme d’esprit :