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« Répondez-moi, mon cher ami, aussitôt que vous le pourrez. Je vous écris avec des larmes dans le cœur et dans les yeux, »

Quelques jours plus tard, après avoir pris l’avis de M. de Boismilon, il faisait parvenir à Mme la Duchesse d’Orléans l’expression de ses respectueuses condoléances :

La mort du prince qu’il aimait et qui l’aimait était pour Augustin Thierry le premier avertissement du Destin. S’il avait pu voir dans l’avenir avec la même sûreté qu’il déchiffrait le passé, l’infortuné eût aperçu, planante déjà sur sa tête, l’ombre annonciatrice des suprêmes désastres.

D’année en année, la santé de sa femme s’altérait davantage et les tendres inquiétudes que lui cause ce déclin progressif apparaissent, à partir de 1841, en maints endroits de sa correspondance, dans les lettres à sa famille ou à ses intimes. Julie de Quérangal, cependant, s’efforçait stoïquement de cacher ses souffrances, et l’aveugle, abusé par son pieux mensonge, ne soupçonnait pas toute la gravité de son état.

Le cancer, à présent, précipitait ses ravages. Au cours de l’hiver 1843, des hémorragies survinrent, achevant d’épuiser la malade. Elle était si faible au printemps, qu’il fallut renoncer à quitter Paris pour l’habituel séjour à la campagne et lorsqu’elle s’alita au commencement de mai 1844, le docteur Louis qui la soignait, la considéra tout de suite comme perdue.

Averti par son frère avec tous les ménagements d’une affection profonde, face à face avec la sinistre réalité, Augustin Thierry sombra dans le plus affreux désespoir. Lorsqu’on dépouille les cahiers de notes où sont accumulés les matériaux de l’Histoire du Tiers-État, on voit brusquement cesser toute recherche, s’interrompre tout travail, à la date du 7 mai. Ce grand laborieux ne peut plus vivre désormais que pour sa seule et mortelle angoisse.

Pareillement, s’arrête toute correspondance. Durant vingt-cinq jours, les registres qui la conservent sont muets ou presque. Ils ne contiennent que deux lettres, deux pitoyables cris plutôt de douleur et de détresse infinies, le premier poussé vers Chateaubriand que connaissent déjà les lecteurs de cette Revue [1] : l’autre, plus poignant encore dans son laconisme,

  1. Voir la Revue du 1er novembre 1916.