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revenant à moi, je dis : « Amédée ? « pour m’assurer que mon frère était là. Il répondit vivement en s’approchant de moi et me prenant la main.

« Selon le récit d’Annette, le samedi 8 juin, à trois heures et demie, la Princesse se trouvant dans la salle à manger où j’allais me faire porter, ma pauvre Julie, comme s’apercevant de l’heure qu’il était, sortit de sa somnolence et demanda : « Est-ce que la Princesse n’est pas là ? je voudrais bien lui parler. » Elle lui tendit la main, recueillit ses forces et eut durant quelques moments une parfaite présence d’esprit.

« Ses derniers mots, prononcés d’un accent ferme et pénétrant, furent ceux-ci : — Ne l’abandonnez pas, prenez soin du pauvre Augustin. Depuis, elle n’a plus proféré de paroles suivies et dont le sens fût intelligible, si ce n’est une fois le dimanche : — Augustin, je suis bien mal, mais Dieu fera de moi ce qu’il voudra. »

Depuis qu’elle avait été prévenue par le docteur Louis de la fin imminente de son amie, la princesse Belgiojoso ne quittait plus en effet le passage Sainte-Marie.

Ses juges les moins indulgents n’ont jamais refusé à la séduisante héroïne de tant d’aventures tumultueuses « qui vivait à l’étroit dans son siècle, » ni la bonté du cœur, ni le dévouement généreux. A travers mille extravagances, la flamme auguste de l’idéal ne cessa jamais de brûler dans ses veines : âme étonnante et complexe enfermant toutes les folies, capable de tous les enthousiasmes.

Quels mobiles attribuer à la conduite qu’elle va tenir ? Ils paraissent à la fois nébuleux et précis. Elle s’est prise pour Augustin Thierry d’une affection où la sincérité s’unit au romanesque. Elle l’aime « en esprit, » veut être sa « sœur d’âme. » Il se mêlera plus tard à ces sentiments éthérés des préoccupations moins hautes d’assistance littéraire. Pour l’instant, elle plane en plein azur, elle subit un prestige. La pitié de la femme s’est éveillée devant cette existence ravagée, mais, si l’on peut dire, c’est une pitié artiste où l’imagination, à son insu, a plus de part que le cœur. Sans doute, elle entend bien exaucer le vœu suprême de la morte, soulager tant de misère, réconforter une grande âme en détresse ; mais ce rôle de consolatrice, de madone du foyer, d’Egérie dernière d’un écrivain illustre ne va pas non plus sans flatter obscurément sa vanité. Suivant le mot