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amer du moraliste, elle s’admire elle-même dans la beauté de son œuvre.

Dans quelques mois, dissipée cette première et capiteuse griserie de charité, quand la ressaisiront d’autres chimères, elle ne sera pas longue à dépouiller son personnage d’occasion. Reprise d’humeur vagabonde, son bienfaisant ministère ne s’exercera plus que de très loin et par intermittence ; la « sœur, » sans remords, délaissera son « frère. » Woman, your name is frailty... Heureusement le temps ayant fait son œuvre, Augustin Thierry aura pu connaître assez sa capricieuse amie pour ne pas souffrir de son abandon.

Mais en ce moment, toute à la mission secourable qu’elle s’est imposée, elle n’envisage point l’avenir et ses obligations. Avec sa fougue ordinaire, elle est persuadée de son immuable constance, et comme il fallait d’abord arracher le veuf anéanti à sa maison funèbre, déraciner sa mortelle douleur, elle alla, aussitôt célébrées les obsèques, l’installer à Port-Marly, en compagnie du docteur Graugnard.

C’est là, que parvinrent à l’historien écrasé de chagrin et l’esprit en déroute, les témoignages de l’universelle sympathie qu’excitait son malheur.

Aussitôt informée, Mme la Duchesse d’Orléans voulut s’associer au deuil de celui qu’avait affectionné le mari qu’elle pleurait :


« Neuilly, 13 juin 1844.

« Que ne puis-je apporter quelque adoucissement à votre douleur, monsieur ! La perte cruelle qui vient de vous frapper m’émeut profondément, et rien ne saurait vous rendre la sympathie qu’elle m’inspire : mais que peut la sympathie auprès d’un malheur comme le vôtre ? Nul n’en sent plus que moi l’impuissance. Aussi ne suis-je pas venue dans l’espoir de vous distraire de votre affliction, mais pour vous dire que je demande à Dieu de soutenir votre courage et de vous donner la force d’accepter l’épreuve qu’il vous envoie. Le jour viendra où cette vie de souffrances, d’amertume et d’isolement vous paraîtra un rêve, et alors vous bénirez la main qui vous aura frappé ; alors vos pleurs seront changés en joies éternelles. Cette pensée est lo refuge des affligés ; puisse-t-elle être votre soutien et rendre votre douleur plus calme ! C’est là le vœu bien vrai et bien