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Pantagruel sur les recettes illusoires de la petite rivière peu navigable de la Dive-Mirebalaise, qui passe à trois lieues de La Devinière, — où se trouve-t-elle ? Thélème (en grec : désir, volonté) est une contrée imaginaire ; mais l’auteur la place en un lieu déterminé : « jouxte la rivière de Loyre, à deux lieues de la grande forest de Port Huault, » c’est-à-dire des lois de Chinon, dans les riches prairies où paissent les belles vaches de Brehemond, entre l’Indre, l’ancien lit du Cher et la Loire. Là, au cœur du « jardin de la France, » il élève en pensée une noble et magnifique demeure, du style que précisément lui-même et ses contemporains goûtaient le plus et que leur génie a fait fleurir sur notre terre : c’est un château de la première Renaissance. L’auteur de Gargantua, comme on le sait assez désormais, avait l’imagination la plus précise, une vraie imagination de romancier réaliste : l’abbaye qu’il a rêvée n’est pas un féerique palais des Mille et une nuits, non pas même quelque savant monument à l’antique, mais une construction habitable, un splendide château français, dans le genre de Chambord, Bonnivet ou Chantilly, plus beau encore que ces merveilles illustres dès lors, quoique à peine terminées ou inachevées. Et il nous a laissé de Thélème une description si minutieuse, qu’un architecte en pourrait dessiner le plan le plus complet. Il ne reste qu’à la bâtir ; malheureusement, les temps où nous vivons ne semblent pas s’y prêter.

L’abbaye a la forme d’un hexagone dont chaque angle est marqué par une grosse tour ronde d’un diamètre de soixante pas. Celle du Nord s’appelle Artice (en grec : septentrionale) ; elle domine la Loire qui coule à ses pieds. La première que l’on rencontre, en tirant vers l’Est, se nomme Calaer (bel air) ; les suivantes Anatole (orientale), Mésembrine (méridionale), Hespérie (occidentale) et Cryère (glacée) : toutes sont distantes les unes des autres de 312 pas (260 mètres environ).

Ces grosses tours sentent encore leur moyen âge ; mais c’est qu’elles évoquent bien l’idée d’une demeure seigneuriale, et on les retrouve dans deux des beaux châteaux auxquels songeait maître François : à Chambord comme à Bonnivet. Pas plus que Thélème, ce n’étaient là des forteresses, pourtant : l’air et le jour y entraient largement ; en revanche, les visiteurs y pénétraient moins aisément, car les portes y sont proportionnellement bien étroites. Celles de Thélème n’étaient pas plus grandes ;