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les tranchées ou à la « frontière marchante, » selon la belle expression de Claude Cochin, combien, sans le savoir encore, avaient du génie et allaient nous être indispensables, dont il faut pourtant nous passer ? D’autres ont laissé les premiers indices, les témoignages évidents de leur valeur acquise et de leur utilité prochaine. Ils ouvrent devant nous l’étendue vaste des regrets que ne borne pas un horizon net ; Claude Cochin, dans notre pensée, est l’un d’eux.

Je ne l’ai pas connu ; je l’ai seulement aperçu. Je me souviens d’un grand jeune homme fier et gracieux, au regard clair, et sérieux d’une façon charmante, à vous montrer que la raison n’est point chagrine et qu’il y a une gaieté de sagesse.

Il n’est pas mort à la guerre, où il a bien servi, où il a mérité d’être appelé brave et par le général Mangin. Mais il est mort de la guerre. Il y avait plus d’une fois respiré les gaz délétères ; et « quelle guerre, écrivait-il ; tousser, pleurer, cracher ! Est-ce se battre ? « Quand il revint, tant de fatigues l’avaient affaibli : un rhume devint une maladie et l’emporta en peu de jours.

Il était né en 1883. Il appartenait à une famille célèbre et de longtemps fidèle aux mêmes traditions et aux mêmes croyances, les plus françaises et chrétiennes, au même usage du cœur actif et de l’esprit cultivé. Il n’eut pas à inventer sa vie, mais à goûter la liberté que donne la règle intelligemment acceptée, approuvée, aimée. Il se promit de continuer sa lignée ; sa modestie égalait son effort.

A vingt ans, il entrait à l’École des Chartes. Une influence qu’il subit heureusement fut celle de l’un des maîtres de l’érudition la plus parfaite, Arthur de Boislisle... Quiconque a vu ce grand Boislisle n’oublie pas comme il portait élégamment la science. Il n’était point accablé, ni confiné. Il vivait en son temps et travaillait dans un autre ; il savait réunir deux ferveurs ; et il avait deux fois ses disciplines, sa clairvoyance et une indulgente amabilité... Claude Cochin fut par Boislisle dirigé vers le Grand siècle, où il devait rencontrer le cardinal de Retz et les Arnauld.

En sortant de l’École des Chartes, il partit pour Rome. Son guide en Italie était, fût-ce de loin, son père. N’avait-il pas été, dès l’enfance, initié à la pensée italienne par l’humaniste auquel on doit de si pénétrantes études relatives à la Renaissance ? Il a su tout petit l’aventure de Béatrice que Dante a aimée en sa vie nouvelle encore et qui devint, en sa pensée plus tardive, théologienne. Passent les années et, pendant la guerre, le 14 novembre 1914, il écrit : « Le Soissonnais vient de connaître quelques journées délicieuses, ensoleillées