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galon, la croix de guerre. Ses lettres sont datées de Berry-au-Bac, de Moulin-sous-Touvent, de Fleury, de Craonne. Sa dernière citation, du mois de septembre 1918, montre que, du commencement à la fin de la guerre, il était là

Ses pages de guerre sont extrêmement belles, et sont charmantes. Elles n’ont rien de forcé ou d’emphatique. On y sent la vérité d’une âme qui se montre avec assurance et modestie, n’ayant ni à se vanter ni à se dissimuler. Il n’est pas devenu à la guerre un autre homme. Il y accomplit sa besogne de soldat, qui n’est pas celle qu’il préfère ; il l’accomplit d’autant mieux, avec toute sa volonté que ne guident pas ses préférences. El il garde son grand amour de la nature et des arts. Ses notes de guerre sont d’un poète et d’un archéologue, naïvement.

En 1917, après la glorieuse et terrible affaire de Craonne, il se souvient de ce qu’était, la précédente année, ce paysage : « Le pays de Craonne était, en mai 1916, un pays d’idylle. Les troupes allemandes qui occupaient le plateau étaient composés de placides landwéhriens. L’humeur de nos soldats, tapis dans les fourrés de Beaumarais, n’était guère plus agressive. Toute haine cédait à l’invitation pacifique de la nature. Coupés de larges clairières, les taillis pleins de muguet s’étendaient dans un repos printanier depuis le bord de l’Aisne jusqu’aux premières maisons de Craonne, voisines de nos avant-postes... Beaumarais était délicieusement calme. Les plans directeurs donnaient eux-mêmes dans la fantaisie. Le bastion de Chevreux, aux verdures découpées comme des clefs d’instruments à cordes, avait reçu le nom de Bois en mandoline. Un boqueteau situé entre les lignes était baptisé Bonnet persan. Vraie mascarade champêtre, dans ce paysage fait à souhait pour le plaisir des yeux !... Il y avait une étable. Je me souviens de ma surprise lorsque je vis dans une masure, au plus épais de Beaumarais, deux vaches normandes, les pis gonflés de lait, ruminant à quelques centaines de mètres des lignes. C’était la grande paix au milieu d’animaux familiers. Sans les rafales rituelles des artilleurs, les soirées auraient été adorables... » Cette page est bien jolie et n’est émouvante que d’une façon furtive ; elle l’est ainsi davantage ; elle donne à imaginer, par le contraste, les horreurs de la guerre, offense au placide conseil de la nature. Mais l’écrivain ne s’attarde point à la tristesse de ce qu’il sait ; sa rêverie est d’un instant et la rude besogne l’interrompra.

Comme il fait son devoir, il éprouve un étrange plaisir à constater quelquefois qu’il est le même et à relier, par le souvenir, les présents