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jours au temps passé que l’amusaient l’art et la peinture. Au mois d’avril 1917, il est aux avancées de Verdun ; son secteur joint la ferme des Chambrettes ; la ruine et la désolation : « De loin en loin, une corvée, portant des planches, ou des hérissons de fil de fer, se détache sur le ciel balayé de nuages. Ils montent le ravin comme un calvaire. Et j’avais très nettement l’impression d’un Vendredi-Saint par de Groux. » C’est d’une étonnante justesse, on le devine ; et l’image s’impose à l’esprit, par une allusion. L’image est visuelle et, pour ainsi parler, morale ; les soldats au calvaire sont visibles et pathétiques. Ce même mois d’avril, et à la veille de quitter la région meusienne : « Hier soir, le soleil nous a donné pour fête d’adieu un crépuscule admirable. Comme intermède à ce spectacle, nous avons eu un bombardement soigné de la boucherie militaire, avec de gros 150 noirs qui tombaient avec une merveilleuse précision dans les murs de brique. Les nuages rouge-feu qui en sortaient me faisaient penser aux tableaux de van Dongen. » Voilà comme dure à la guerre et au danger l’amateur d’art ou l’artiste.

L’archéologue ? Veuille-t-on lire, dans les Dernières pages, un court chapitre intitulé : « Les potiers d’Avocourt. » Le sous-sol de ce pays contient de l’argile et du sable excellents pour la poterie ; et la forêt, qui n’est pas loin, s’élève sur des gisements de « gaize, » une espèce de grès vert que le chauffage vitrifie à la surface. Dès le règne de Domitien, ce pays devint le siège d’une cohorte appartenant à la 21e légion romaine. Des artisans créèrent des ateliers et, du Ier siècle au IIIe produisirent une quantité de pots et de vases, » portant sur leur fine pâte rouge orange une ornementation exquise ; « on a identifié cinq mille poinçons différents. Avant la guerre, les gens d’Avocourt vendaient aux marchés des environs leurs nouveaux chefs-d’œuvre, moins beaux, terrines, jattes, écuelles, cruches d’argile brute ou colorée de jaune vert ou brun. Dans le sol d’Avocourt, on trouvait, en creusant un peu, les vases romains. Et maintenant ? Avocourt est un village mort ; l’antiquité, comme la vie nouvelle, y est anéantie : « Les pièces fragiles sont pulvérisées dans le sol qui les protégeait depuis quinze siècles... La guerre semble rendre plus rapide la fuite des âges. Elle jette pêle-mêle dans le plus lointain passé Serenus, le meilleur potier d’Avocourt, avec les cloches d’argent que les bûcherons entendaient sonner dans les puits de la forêt de Hesse, l’histoire avec la légende... » A Corbeny, que la guerre a mis en décombres, Claude Cochin regrette l’abbaye de Saint-Marcoul, aux abords de laquelle le Roi touchait les écrouelles ; et il donne un