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qu’une opinion découragée parut séduisante ; pourquoi ne pas laisser les crimes de l’Allemagne visibles et les ruines en l’état où elles sont des témoignages, des avertissements et des souvenirs ?... Claude Cochin répondit : « Ne cédons pas à une sorte d’attrait malsain en nous laissant séduire par la beauté de certaines ruines de la guerre. Nous avons assez de sang dans les veines et d’énergie dans le cerveau pour ne pas nous complaire à cette imagerie romantique. Il faut regarder en face la tâche d’avenir, la tâche de reconstruction. » Son discours prononcé, Claude Cochin partit pour le front. Et il comptait reprendre plus tard son idée, la présenter encore à ses collègues avec une nouvelle insistance. Il est mort ; et l’on a retrouvé dans ses papiers les éléments du second discours qu’il avait préparé. Il disait : « Croyez-vous qu’ils soient satisfaits, les propriétaires de la Grande et de la Petite place d’Arras, si on vient leur dire : Nous considérons vos maisons comme des ruines artistiques ; allez-vous-en ! laissez-y nicher les oiseaux ; vous logerez ailleurs ! Ou encore le fermier de Quennevières, dans la ferme duquel ne subsistent que des pans de murs, ne vous dira-t-il pas qu’il vaut mieux encourager la culture ? Ce n’est pas rendre hommage aux morts qui ont sacrifié leur vie pour que renaisse dans toute sa gloire la terre de France, que de transformer en landes incultes et désertes les champs de bataille où ils ont versé leur sang... Jamais les paysages de France ne pourront être les témoins glacés et figés d’un âge révolu. Que la commission n’abuse pas du classement des ruines, comme monuments à conserver. Qu’elle prescrive des relevés, qu’elle organise des missions de dessinateurs, de peintres, d’architectes. Mais qu’elle ne s’oppose pas à ce que nous effacions, partout où cela se pourra, la cicatrice qui balafre la France ! « J’ai voulu citer cette page pour sa beauté, pour sa vérité : ce qu’il y a eu de défaite avant la victoire, la victoire l’a supprimé ; supprimez-en les signes détestables. Et cette page montre comme, en Claude Cochin, ce chartiste et fervent ami du passé, le souci de l’avenir est vif et sain, comme cet historien croyait à la durable continuité de la France et de son histoire.

Mais, en essayant d’analyser son caractère et sa pensée, son activité aussi, j’ai dû séparer ce qui, en lui, fut toujours à l’état de synthèse. Érudit, archéologue, artiste, soldai, chrétien fidèle et l’homme politique le plus attentif aux résolutions opportunes, il a donné à tout ce qu’il a fait toute son âme, variée à merveille et parfaitement réunie.


ANDRÉ BEAUNIER.