Camille Saint-Saëns est mort. La musique française, et même tout simplement la musique, vient de perdre un grand défenseur de l’ordre, un gardien fidèle, incorruptible, des principes et des lois. Aucun maître n’a pris et soutenu plus longtemps, avec plus de vigueur et d’éclat, le parti de l’intelligence et de la raison.
On connaît le mot de Beethoven : « La musique est esprit et elle est âme. » Dans la pensée d’un Saint-Saëns et dans son œuvre, elle fut l’un encore plus que l’autre. Chez le grand artiste disparu, » les puissances de sentiment « n’étaient pas les plus fortes. Aussi bien il se défiait d’elles. Il l’avouait volontiers, que dis-je, il aimait à le déclarer très haut. Il craignait toujours, ce pur musicien, qu’on ne réduisît ou qu’on ne contestât, au nom de l’expression, de l’émotion, ce qu’un critique allemand appela jadis, à l’allemande, » l’intelligibilité et la souveraineté en soi de la musique pure. »
Il nous écrivait un jour : « Cet art pour l’art, dont vous ne voulez pas, c’est, qu’on le veuille ou non, la forme, aimée et cultivée pour elle-même... La recherche de l’expression, pour légitime et véritable qu’elle soit, est le germe de la décadence, qui commence du moment que la recherche de l’expression passe avant celui de la perfection de la forme... »
Et encore : « L’art est fait pour exprimer la beauté et le caractère ; la sensibilité ne vient qu’après et l’art peut parfaitement s’en passer, »
Enfin : « J’ai dit et je ne cesserai de le redire, parce que c’est la vérité, que la musique, comme la peinture et la sculpture, existe par elle-même, en dehors de toute émotion... Plus la sensibilité se développe, plus la musique et les autres arts s’éloignent de l’art pur. »