Saint-Saëns eût souscrit volontiers à la formule d’Auguste Comte : « L’esprit doit toujours être le ministre du cœur et jamais son esclave. » Hâtons-nous d’ajouter que le cœur a créé, quoi qu’il en dît, quelques-unes des pages maîtresses du grand musicien. Le cœur autant que l’esprit n’inspire-t-il pas le touchant adieu de la reine Catherine à ses filles d’honneur, (dernier acte d’Henri VIII) ? La sublime cantilène de Samson tournant la meule est la plainte la plus poignante que puisse arracher le repentir au « cœur contrit et humilié. » Sur le seuil de ce Déluge, admirable de composition et d’ordonnance, ne trouverait-on pas dans le chant de violon du prélude, je ne sais quoi d’affectueux, de tendre, et comme le pressentiment de la miséricorde et du pardon final ? Relisez la Lyre et la Harpe. Le sujet n’est autre, on le sait, que l’antithèse, le débat entre les deux âges, ou les deux âmes de l’humanité, le paganisme et le christianisme, célébrés en strophes qui se répondent, par la lyre profane et la harpe sainte. La partition tout entière témoigne de la force, de l’éclat, de la variété que donne ici la musique, encore plus que la poésie, non seulement aux deux idées, mais aux deux sentiments qui se partagent l’œuvre. Phryné, qui n’est qu’un opéra-comique, çà et là presque une opérette, contient une page splendide, rayonnante, et qui répand autour d’elle un émoi sacré. La symphonie en ut mineur enfin, — la plus admirable de toutes les symphonies françaises et d’un certain nombre de symphonies étrangères, — en est aussi par moments, qui ne sont pas rares, la plus émouvante. C’est, au début de l’andante, l’attaque, ou plutôt l’entrée de l’orgue, sur une note unique, mais laquelle ! de quelle gravité, de quelle profondeur, de quelle résonance infinie ! C’est l’éblouissante péroraison du finale, qu’on ne saurait mieux qualifier qu’en l’appelant une « gloire « sonore, à la condition de bien entendre et de sentir pleinement tout ce qui, dans ce mot de « gloire, » nous émeut et nous fait battre le cœur.
Pourtant l’intelligence l’emporte. Dans le génie qui vient de s’éteindre, il est juste d’accorder la première place à la maîtrise de l’esprit, celle dont le maître fut le plus jaloux. Et c’est par là peut-être que Saint-Saëns a mérité le mieux d’être appelé classique, le plus grand de nos classiques français. » Classique, » c’est bientôt dit, pour dire bien des choses. Un écrivain classique, nous apprend Sainte-Beuve, d’après Aulu-Gelle, c’était à Rome « un écrivain de valeur et de marque, un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil et qui n’est pas confondu dans la foule des prolétaires. »
Au soleil, au clair soleil de France, nous ne saurions en ce peu de