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lignes hâtives dénombrer les biens qu’un Saint-Saëns a possédés. Ses domaines furent de plus d’une sorte : vastes étendues, ou coins de terre agréables, riants, pittoresques, qu’il ne dédaignait point. Opéras ; oratorios et cantates ; poèmes symphoniques et symphonies ; musique de chambre, de la sonate au concerto, pièces pour piano seul, il régna sur toutes les provinces du royaume des sons. Samson et la symphonie en ut mineur, ses deux chefs-d’œuvre, l’un de musique appliquée et l’autre de pure musique, se répondent et s’égalent. Mais de l’un à l’autre il a rempli tout l’espace, ou, comme disait Pascal, tout l’entre-deux. Par les œuvres dont il l’a rempli, oui, par celles-là même, un Saint-Saëns descend de la plus illustre lignée. Si, dans une certaine mesure, il participe du génie des immortels, d’un Bach, d’un Mozart, d’un Beethoven, c’est qu’il a reçu d’eux, sans les imiter, ce qu’ils ont d’universel, ce qui fait d’eux, au delà, au-dessus de leur époque et de leur race, les maîtres de tous les pays et de tous les temps.

Être classique, dirions-nous encore, avec un peu d’orgueil national, c’est une manière, et la meilleure sans doute, d’être français. Le classicisme, (excusez l’affreux mot), nous apparaît en toute chose comme la forme supérieure et la plus vraiment nôtre de notre génie. Être classique, pour les gens de chez nous, c’est être doué, dans la littérature ou dans l’art, de certaines qualités que les écrivains et les artistes de notre grand siècle, — le dix-septième, — ont possédées à un degré éminent : la clarté, la mesure et l’unité, l’ordre et l’équilibre, enfin, en ces deux mots où l’éloge d’un Saint-Saëns nous ramène toujours, l’intelligence et la raison.

Quelqu’un a défini la musique : Une « architecture céleste qui se passe de ciment et que soutient seule la main de Dieu. » Sans peut-être y reconnaître cette main, c’est ainsi que la concevait et la construisait un Saint-Saëns. Mais encore une fois, si belle que fût en soi, rien qu’en soi, l’ordonnance de l’édifice, plus d’une de ses pierres chantait, et leur chant touchait notre âme. Oh ! sans jamais la troubler. Et c’est ainsi que notre poésie, la plus classique également, sait parfois nous émouvoir. Au premier acte de Samson, le jour va paraître, il paraît. La montée des ondes sonores accompagne, imite l’ascension des ondes de lumière, la clarté se répand avec l’harmonie, et cette aurore musicale, en quelques accords, très simples, évoque cette aurore poétique, en quelques mots, les plus simples aussi :


Et du temple déjà l’aube blanchit le faite.