Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Sur les lèvres de Samson captif et pénitent expirent les dernières notes de son douloureux cantique. Sa voix n’éveille plus que celle d’un hautbois désolé. Peu à peu tout se tait. Au dehors la solitude, l’abandon se devine.


Et de Jérusalem l’herbe cache les murs.


Analogies tout extérieures et vaines, dira-t-on peut-être. Je vois là plutôt, à la gloire du musicien, des correspondances mystérieuses, mais profondes, et qui ne trompent pas.

Nous avons, — nous Français, — encore une autre manière d’être classiques : c’est d’avoir de l’esprit. Saint-Saëns en eut beaucoup. Relisez, pour vous en souvenir, mainte scène de Phryné : soit, au premier acte, l’inauguration du buste d’un Archonte. Dans l’ordre de la caricature ou de la satire politique, toujours actuelle, la musique ne saurait montrer plus de malice. Gardons-nous aussi d’oublier une œuvre familière, mais poétique et plaisante tour à tour, le Carnaval des animaux. Sans paroles, rien qu’en musique pure, Saint-Saëns est spirituel, à la façon de nos vieux clavecinistes et de notre Rameau. Il l’est dans ses œuvres légères, qui sont légion, pour le piano, pour l’orchestre, et pour les deux ensemble. Il l’est par la finesse du trait et la vivacité du ton, par la grâce imprévue et (piquante d’une répartie sonore, d’une cadence, d’un rythme, d’une harmonie ou d’une modulation. Tout à l’heure il rappelait Racine. Ailleurs et plus souvent, s’il fait songer à Voltaire, encore une fois ce n’est pas là non plus une médiocre façon d’être classique et français.

Il est mort, chargé d’années et de gloire, ayant eu le rare bonheur de porter jusqu’à la fin le double fardeau, sans que rien en lui, ni l’esprit, ni le corps, ait faibli. Il est mort au soleil, au doux soleil de cette Algérie qu’il aimait et qu’il a chantée. Le dernier morceau de la Suite algérienne est une marche militaire, que tous les deux ensemble, quelquefois, autrefois, nous avons jouée. Alerte, pimpante, elle n’est pas de celles qui pouvaient se mêler aux autres pour mener son deuil. C’est dommage. Elle est tellement sienne, tellement nôtre ! Et qui sait ! De l’entendre sonner en son honneur, la petite marche française, l’ombre du grand musicien de France, loin de s’en offenser, eût peut-être souri.


CAMILLE BELLAIGUE.