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Chronique 31 décembre 1921

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE [1]

J’ai bien peur que, ni à Washington, nia Londres, on ne se rende un compte exact du véritable état d’esprit de l’Allemagne. Le maquillage démocratique du Reich continue à tromper nos amis. A Berlin, le chancelier Wirth et ses ministres n’exercent aucune autorité réelle ; ce ne sont que des figurants de théâtre ; ils vont et viennent en avant de la scène, mais, derrière eux, tout l’attirail du vieil Empire demeure intact. Les grandes forces sociales, militaires, industrielles, financières, restent souveraines maîtresses de la politique. Les hommes qui dirigent vraiment les affaires ne cachent pas leur mépris pour le gouvernement de façade qu’ils conservent par calcul et par intérêt. Depuis la signature du Traité de Versailles, ils n’ont eu d’autre but que de soustraire l’Allemagne à ses engagements et de préparer sa revanche. Ils espèrent maintenant être à la veille du succès et ils ne prennent plus la peine de cacher leur jeu. L’Empereur déchu lui-même donne le signal du mouvement. Il soulève hardiment le couvercle de son tombeau et il reparaît le sourire aux lèvres. Il publie un livre pour essayer de démontrer qu’il n’a aucune responsabilité dans la guerre, et le Gouvernement allemand se charge de répandre à travers le monde cet ouvrage de haute fantaisie. Guillaume II va plus loin. Il écrit au maréchal Hindenburg qu’il s’est sacrifié à son pays : « Je ne me suis décidé à quitter l’Allemagne que sur votre représentation pressante et sur celle de mes conseillers, que c’était le seul moyen de procurer à notre peuple des conditions d’armistice plus favorables et d’éviter une guerre civile sanglante. » Et il répète audacieusement : « Il n’est plus douteux aujourd’hui que ce n’est pas l’Allemagne, mais la coalition ennemie, qui a préparé la guerre systématiquement et l’a provoquée intentionnellement. » A l’appui de cette extraordinaire affirmation, l’ancien Kaiser attribue à M. Sazonoff,

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.