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leurs exploits. A la fin de juillet et au début d’août, lorsque les Hellènes étaient victorieux en Anatolie, sous-officiers et soldats grecs parcouraient la ville, montés sur des camions, en agitant des drapeaux et en hurlant des chansons patriotiques, qu’accompagnaient des gramophones, et ce vacarme se prolongeait pendant une partie de la nuit. A la même époque, sur les murs des établissements grecs s’étalaient d’énormes portraits du roi Constantin à cheval avec la légende : « Erchetai ! « (Il arrive !) Si ces provocations n’ont pas abouti à des émeutes sanglantes, c’est que les Turcs, d’ailleurs indifférents et tolérants par tempérament, sentaient peser sur eux la terrible menace d’une répression militaire interalliée.

En dépit de ces difficultés, qu’ils semblent avoir créées eux-mêmes, les Alliés maintiennent tant bien que mal l’ordre public à Constantinople ; mais ils n’y font pas régner la sécurité. Jamais les assassinats, les vols, les enlèvements n’y ont été aussi fréquents et n’y sont demeurés aussi généralement impunis que depuis l’occupation. Et cela s’explique aisément. A la police turque, on a substitué, ou plus exactement superposé une police interalliée, dont le chef suprême est un Anglais et dont les agents sont, en proportion à peu près égale, des Anglais, des Italiens et des Français. Ainsi le soin de découvrir, de surveiller et de poursuivre les malfaiteurs est confié à de braves gens qui savent peut-être très bien leur métier, mais qui ignorent tout du pays où ils ont mission de l’exercer : la topographie de la ville et de ses environs, les langues et les mœurs des habitants. Lorsque, le 12 mai, deux agents de la police britannique emmenèrent à la fourrière, pour excès de vitesse, l’automobile du Grand-Vizir et le Grand-Vizir lui-même, qui l’occupait, les bonnes langues de Péra racontèrent que c’était un coup monté, en vue de mettre la main sur certains papiers qui se trouvaient dans la voiture, et vantèrent l’habileté diabolique de M. Maxwell ! Je crois, plus simplement, que les policemen qui arrêtèrent Tewfik Pacha ne le connaissaient pas, et que s’ils l’avaient connu, ils l’auraient laissé passer, comme, dans les mêmes circonstances, ils auraient laissé passer M. Lloyd George.

Mais cette même police, qui menait le Grand Vizir au poste, laissait généralement courir les cambrioleurs et les brigands. Les rues les plus fréquentées de Stamboul et de Péra devenaient peu sûres dès que la nuit était tombée. Quant à se promener le