Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un forfait épouvantable eût été épargnés à leur capitale, et promirent de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour assurer l’arrestation des coupables. Les quelques noms d’hommes politiques inscrits sur la fameuse liste jetaient une lumière suffisante sur son origine : le commandant des forces alliées était certainement de bonne foi, mais ceux qui lui avaient dénoncé le complot se proposaient simplement de mettre dans l’embarras les hommes qui détenaient alors le pouvoir et de s’installer à leur place. Cependant, plutôt que de mettre en doute la réalité du complot ou même l’existence des inculpés, les autorités ottomanes se dirent qu’il y avait bien dans Constantinople une douzaine d’Ali et de Mehmed qui ne valaient pas la corde pour les pendre. Le 17 septembre, on en avait déjà trouvé huit ; le général Harington rendit publiquement hommage à la loyauté du gouvernement turc et retira ses menaces.

L’aventure est simplement ridicule ; mais elle pouvait facilement tourner au tragique. Les mesures de rigueur annoncées, si elles avaient été prises, n’auraient pas manqué de susciter des protestations et des troubles. A qui eût incombé la tâche pénible et dangereuse de rétablir l’ordre ? aux Anglais, qui l’avaient imprudemment compromis ? oui, mais tout autant aux Italiens et aux Français.


LA JUSTICE A CONSTANTINOPLE

Trop de polices, et trop peu de justice : deux conditions également favorables aux entreprises malhonnêtes ou criminelles, et qui m’ont paru être assez bien réalisées à Constantinople. On peut dire que, du jour où les Alliés s’y sont installés, la justice a cessé d’y être rendue.

Dès notre arrivée, nous avons protesté, comme il convenait, contre l’abolition des privilèges capitulaires, que les Turcs, en 1916, avaient solennellement décrétée. Protestation de pure forme, le Gouvernement ottoman n’ayant pas consenti, en ce qui le concerne, à rétablir les capitulations : pour lui, elles n’existent plus, alors que pour nous elles n’ont pas cessé d’exister. Les Puissances jouissant du régime capitulaire en Turquie n’en ont pas moins rétabli leurs tribunaux consulaires ; mais ceux-ci n’ont guère à juger que les litiges entre sujets de ces Puissances.