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J’ai connu à Péra un affréteur, pour le compte de qui un Grec avait touché indûment à Londres une prime d’assurance de 20.000 livres sterling. L’escroquerie n’était pas douteuse ; mais le Grec refusa de rendre l’argent, sachant fort bien qu’il n’existait aucune juridiction devant laquelle il put être cité. Mon homme est ruiné, et le Grec mène tranquillement, avec l’argent volé, une existence fastueuse.

Le premier soin des Gouvernements alliés devrait être de réorganiser les tribunaux de police, en leur donnant un statut légal et une compétence définie. Si l’on pense qu’en raison de l’occupation ces tribunaux doivent être militaires, qu’on laisse juger les militaires. Mais qu’il soit bien entendu, d’abord, qu’ils appliqueront strictement une législation déterminée d’après une procédure certaine, ensuite qu’aucune des trois Puissances occupantes ne sera subordonnée aux autres, mais que toutes seront également représentées.

Si l’on peut, à la rigueur, confier aux militaires l’administration de la justice pénale, il ne saurait être question d’étendre leur compétence aux affaires civiles et commerciales : il faut ici des juges professionnels, des magistrats ou des consuls. La solution la plus équitable consisterait assurément à associer l’élément ottoman à l’élément interallié. Avant la guerre, il existait à Constantinople une institution spécialement destinée à régler les différends d’ordre commercial entre Ottomans et étrangers, le Tidjaret ; il comprenait une Chambre maritime et une Chambre commerciale ordinaire. Les juges ottomans y étaient assistés de deux assesseurs, de la même nationalité que la partie étrangère ; de plus, le jugement n’était valable que si le drogman de l’ambassade intéressée y avait apposé sa signature. On pourrait inviter la Sublime-Porte à remettre le Tidjaret en fonction.

On peut encore envisager, et je crois qu’on l’a fait en France, la création, à titre provisoire, de tribunaux mixtes, où siégeraient des représentants des trois Puissances occupantes et un délégué du Gouvernement ottoman, ils connaîtraient de tous les cas dont l’urgence serait manifeste et jugeraient suivant la loi ottomane et la coutume du lieu. Si la Porte refusait aux Alliés sa collaboration, elle porterait, vis-à vis des ressortissants ottomans, la responsabilité de ce refus, et les tribunaux mixtes seraient constitués exclusivement par des magistrats