Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleurs d’un enfant : tout ce monde est morne, silencieux et attend.

Dès que nous entrons, un murmure s’élève, les yeux et les lèvres posent la même question anxieuse : « Quand nous renverrez-vous ? quand pourrons-nous rentrer ? « Le directeur répond par quelques mots d’encouragement et d’espoir. « Inchallah ! plaise à Dieu ! « répètent invariablement les malheureux, et nous passons. Voici les émigrés arrivés hier du golfe d’Ismid : tous sont du même village, que les Grecs ont incendié. Une femme, tenant un jeune enfant par la main, s’approche de mon guide, le salue et lui raconte sa lamentable histoire : les soldats hellènes ont brûlé vif, devant elle, son fils aîné, un garçon de treize ans. D’autres femmes se lèvent et témoignent d’autres horreurs, dont leurs yeux égarés sont encore remplis. Rien que des femmes et des enfants dans ce dernier convoi : aucun homme n’a échappé à la captivité ou au massacre.

La caserne Dahoud Pacha, dont l’énorme bâtisse domine les mosquées de Stamboul et les tours à demi ruinées de la muraille byzantine, abrite cinq mille émigrés, dont quinze cents enfants. .l’ai demandé qu’on réunit dans la grande salle, où des maîtres volontaires leur apprennent à lire, quelques centaines de ces petits, pour une distribution de bonbons. Il n’y a ni cris de joie ni bousculade : chacun reçoit son carnet gravement, sans rien dire. Tandis que la tournée s’achève, une voix d’enfant, très chaude, très pure, s’élève du fond de la salle ; bientôt d’autres voix, à l’unisson, se joignent à la première : leur chant, simple et monotone, exprime une tristesse infinie. J’interroge mon compagnon.

— C’est, me dit-il, une chanson de berger : tous les pâtres d’Anatolie la redisent depuis longtemps. On l’appelle la Flûte désespérée, et voici les paroles du refrain :


L’eau coule toujours dans la rivière d’argent,
La verdure des arbres est toujours brillante ;
Mais mon cœur n’en ressent plus de joie.
Depuis que les étrangers ont tué mon père et ma mère.


Des hauteurs de Dahoud Pacha, nous descendons sur Eyoub. Dans la petite ville sainte, chaque mosquée, chaque médressé (école) sert de refuge à quelques familles d’émigrés. Des cloîtres