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rues ils coudoyaient des soldats hellènes, tout pareils à ceux qui, de l’autre côté de l’eau, massacraient leurs frères, brûlaient leurs villages et ravageaient leurs provinces ; ils passaient à côte d’eux sans frémir. C’en était donc fait de l’orgueil de ce peuple, dont l’esprit national et le sentiment religieux, blesses profondément, ne s’exprimaient même point par un geste de haine ou par un sursaut d’instinctive révolte ?

il n’était que de mieux regarder. Les nuits de Ramazan m’en donnèrent une première occasion. Pendant un mois, suivant la coutume, Stamboul ne commença de vivre qu’après le coucher du soleil. Au coup de canon qui marque la fin du jeune, rues et places s’animaient brusquement, cafés et boutiques s’emplissaient de clients : les marchands d’eau fraîche et de limonade s’empressaient, faisant sonner deux verres l’un contre l’autre d’un mouvement rapide et continu ; les balcons des minarets jetaient dans le ciel leurs couronnes de lumière.

Accompagné d’un guide musulman, j’allais de mosquée en mosquée. Dans les plus humbles, comme dans les plus célèbres, prières et prédications s’étaient succédé sans interruption durant toute la journée. Des groupes de fidèles, attardés devant les portes illuminées, discutaient les derniers événements. Non content de contribuer, avec toute sa maison, à la souscription ouverte en faveur des blessés d’Anatolie et de leurs familles, le Sultan-Calife avait ordonné des prières solennelles, pour demander au Tout-Puissant la victoire des armes nationales et pour honorer les « martyrs de la foi. » A cette occasion, il avait fait les frais d’une distribution de bonbons et d’eau de rose, faite en son nom dans toutes les mosquées de la capitale. Hier, à la Yéni-Djami, un orateur, qui osait critiquer les dirigeants d’Angora, avait été contraint de quitter la chaire, hué par la foule, et remis par elle aux mains des agents de police. Dans d’autres églises, quelques prédicateurs, jugés par le public trop malhabiles, ou trop peu instruits, avaient dû être remplacés immédiatement par des théologiens en renom ; plusieurs d’entre eux étaient venus exprès d’Anatolie pour prêcher le Ramazan à Stamboul.

Nous nous dirigeons, par les petites rues qui longent le haut mur du Seraskiérat, vers la mosquée de Bayazid. Aux vitrines des boutiques, sur de petites estrades au milieu des places, est exposée l’image du héros national, le portrait de Moustapha