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religieux, la révolution française par des idées philosophiques ; celle qui se prépare en Anatolie s’accomplira par la force et au nom d’une idée nationale. »

Encore faut-il définir exactement cette idée : Est-ce l’idée ottomane ? Nous avons vu que les nationalistes de Constantinople, par nécessité ou par conviction, semblent l’avoir abandonnée. La conception dont ils se réclament aujourd’hui m’a paru se rapprocher sensiblement de celle que, déjà il y a dix ans, j’avais trouvée très répandue, soit à Constantinople, soit en Asie-Mineure, et qu’on désignait alors sous le nom de Turquisme. Curieux de savoir jusqu’à quel point ce rapprochement était justifié, je posai la question à un professeur de l’Université de Stamboul, qui est en même temps un poète original et un écrivain politique de talent, Yahya Kémal Bey.

— Lorsque se forma, m’expliqua-t-il, le courant d’idées qu’on a appelé turquisme, son caractère essentiel fut généralement méconnu, soit à l’étranger, soit même dans notre pays. Les Turquistes raisonnaient ainsi. Les réformateurs de l’époque du Tanzimat ont inventé le mot ottoman. A les en croire, il ne devait plus y avoir en Turquie ni Turcs, ni Grecs, ni Arméniens, ni Arabes, mais seulement des Ottomans. Qu’est-il arrivé ? Les Turcs ont fait le sacrifice de leur nationalité ; mais tous les autres ont soigneusement conservé la leur. L’Ottomanisme ne pouvait donc être réalisé qu’aux dépens des Turcs. Il n’a pas fait l’unité dans notre pays, et il y a maintenu, au contraire, une diversité qui constitue la principale faiblesse de l’Empire. Mieux vaut un empire moins étendu et plus fort. Seuls en feront partie les territoires peuplés, en majorité, par des Turcs musulmans.

(c Dans les milieux officiels ottomans, le turquisme fut mal accueilli : on y vit une doctrine de renonciation. Bientôt éclata la guerre balkanique, dont les leçons justifièrent en partie le système qu’on avait si dédaigneusement écarté. Puis ce fut la grande guerre, et le traité de Sèvres. Je vous assure que si les Puissances s’étaient bornées à détacher de l’Empire les territoires peuplés en majorité d’allogènes, la Syrie, la Palestine et la Mésopotamie, le plus grand nombre eut accepté sans grand regret cette décision, et plusieurs même s’en seraient félicités. C’était, en somme, à quelques différences près, la réalisation du programme turquiste. Mais les Puissances nous retiraient