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en outre la plus grande partie de la Thrace, qui est à nous et sans laquelle nous ne pouvons pas vivre ; enfin le 15 mai 1919, nous voyions les Grecs débarquer à Smyrne, sous la protection de l’Angleterre et de la France. Alors nous n’y avons plus rien compris. Au lieu de s’appuyer sur le turquisme, dont les conceptions s’accordaient sensiblement avec leurs propres desseins, — j’entends avec leurs desseins raisonnables, — les Alliés ont suscité eux-mêmes le nationalisme, et, ce qui est plus dangereux, ils ont précipité dans ce mouvement tous les éléments révolutionnaires : Unionistes germanophiles, panislamistes, et jusqu’aux Bolchévistes.

« Heureusement pour nous, et pour l’Europe, Moustapha Kemal est homme à canaliser et à dominer tous ces courants désordonnés et excessifs. Parmi ses conseillers, plusieurs connaissent assez bien l’Occident pour comprendre que la Turquie ne peut vivre sans son agrément et sans son concours. Les Alliés ont commis la grande faute de reléguer en Asie les éléments les plus actifs, les plus efficaces de la nation turque. Ceux-ci ne commettront pas à leur tour la faute lourde d’y rester définitivement. Mais les nationalistes, quand bien même ils le pourraient, ne rentreront pas à Constantinople avant que les Alliés n’en soient sortis. Ils préfèrent mille fois l’indépendance en Asie à l’esclavage en Europe. Ils ne professent ni hostilité contre le souverain, ni mépris pour son grand-vizir ; mais ils savent que ce n’est ni le sultan qui règne à Constantinople, ni Tewfik Pacha qui gouverne. L’autorité suprême, unique, est celle d’un Anglais, le chef de la police, et ils se refusent à la reconnaître.

« Je vais un peu plus loin : le jour où la capitale de l’Empire sera revenue à des conditions de vie normales, je ne pense pas que les nationalistes s’y précipitent. Ils attendront quelque temps. Non seulement parce qu’ils se défient des Alliés, mais parce qu’ils n’ont une entière confiance, ni dans le souverain qui s’est résigné à une demi-déchéance, ni dans les hommes actuellement au pouvoir, qui se sont soumis à un contrôle et à des restrictions incompatibles avec l’exercice du gouvernement. Il se peut que les Anatoliens demandent certaines garanties, exigent même certaines exécutions : on leur attribue le dessein de remplacer le Sultan actuel par un autre membre de la famille impériale. Cependant il n’est pas probable qu’à ce