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moment-là les questions de personnes jouent un rôle prépondérant : c’est l’intérêt suprême du pays qui dictera leur conduite aux hommes de Constantinople comme à ceux d’Angora et qui, en dépit des différences de programme et des querelles de parti, imposera l’union nationale. Cette union est nécessaire aux Alliés aussi bien qu’à nous : il leur appartient de la rendre possible et d’en hâter l’événement. »

Presque tous les Turcs que j’ai interrogés à Constantinople, qu’ils fussent professeurs, journalistes, parlementaires, ou membres du gouvernement, se sont rencontrés sur ces trois points : la Turquie doit renoncer aux territoires non turcs ; elle doit conserver la Thrace et le vilayet de Smyrne, qui sont des territoires turcs ; elle ne peut souffrir aucune restriction, aucune atteinte à ses droits souverains, à son indépendance politique et économique. Les Turcs me semblaient faire assez bon marché de la Syrie, de la Palestine et de la Mésopotamie ; au fond, leur pensée était à peu près celle-ci : « Vous avez voulu ces provinces ; prenez-les. Vous ne les gouvernerez ni mieux ni plus que nous. » Ils faisaient toutes réserves sur le Kurdistan, dont ils ne reconnaissent pas l’autonomie, et sur l’Arménie dont ils contestent les limites. Enfin ils revendiquaient avec la dernière fermeté la Thrace et l’Anatolie tout entière. Voilà pour le statut territorial. Mais, sur le statut politique, je les trouvais beaucoup plus intransigeants ; tous les raisonnements qu’ils tenaient à ce propos traduisaient, en même temps que l’exaspération causée par un contrôle provisoire dont on ne voyait pas la fin, l’impérieuse volonté d’être enfin maîtres chez eux. Même chez les plus raisonnables, je constatais cette résistance, cette révolte du sentiment national contre toute limitation apportée à l’indépendance de leur pays, à la souveraineté de la Turquie. L’esprit nationaliste a soufflé partout, même dans les milieux réactionnaires : et voilà où apparaît l’erreur de ceux qui ne voient dans le mouvement actuel qu’une phase nouvelle de la révolution de 1908.

Je n’irai pas jusqu’à prononcer, en parlant des Turcs de Constantinople, le mot de xénophobie. On ne hait pas les étrangers, mais on est las de les voir tout diriger, tout contrôler et... tout embrouiller. Un ministre du cabinet Tewfik, reprenant à son compte le mot célèbre, me dit : « L’homme malade n’était que malade ; mais il meurt de tous les médecins qui encombrent