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son chevet. » Le directeur d’un grand journal de Stamboul me supplie de dénoncer le « régime asiatique « imposé à Constantinople par les Puissances occidentales, Abdullah Bey, alors ministre des finances, me démontre, — ce n’était pas difficile, — l’impossibilité où il est de faire face aux dépenses du budget, si on ne l’autorise pas à créer des recettes, et il conclut : « Vous administrez peut-être mieux que nous, c’est-à-dire selon des méthodes plus perfectionnées ; mais vous administrez ici dans votre intérêt et non pas dans le nôtre. » La prétention de « fare da se » a envahi la Turquie officielle : c’est, pour une part, la conséquence du mouvement d’opinion soulevé par la guerre, par la proclamation des principes wilsoniens, par l’émancipation des peuples de l’Europe centrale, et, pour le reste, la réaction contre les exigences, tantôt légitimes et nécessaires, tantôt excessives et inutiles, de l’occupation étrangère.

Tout ce qui ressemble à un empiétement sur les « droits souverains « de l’Etat ottoman est devenu insupportable aux Turcs : ils oublient que les contrôles dont ils réclament l’abolition constituent simplement la garantie du créancier envers son débiteur ; ils oublient que le maintien de certains soi-disant privilèges représente le minimum de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des minorités non turques et non musulmanes ; ils oublient même, assez souvent, qu’ils ont déclaré la guerre aux Alliés, qu’ils ont soutenu contre eux la mauvaise querelle des Empires centraux, et qu’ils ont été vaincus.


CONSTANTINOPLE ET ANGORA

Enfin Constantinople subit l’influence d’Angora. Les Turcs de la capitale songent avec mélancolie que, de l’autre côté de la Marmara, il y a des gens de leur race, de leur religion, de leur nation, qui vivent dans une indépendance complète, en dehors de tout contrôle européen. La grande Assemblée nationale administre les provinces d’Asie comme il lui plaît, vole les impôts et les perçoit librement, décrète des tarifs douaniers. L’Anatolie se passe de l’Europe, et elle vit : le pain coûte moins cher à Angora qu’à Constantinople. On néglige, il est vrai, celle circonstance, que le Gouvernement de Moustapha Kemal ne fait qu’exploiter à son profit une organisation toute montée, et montée par des Européens ; qu’il utilise les services