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de la Banque ottomane, encaisse les recettes de la Dette publique et réquisitionne les stocks de la Régie des tabacs. Mais, le public n’entre pas dans ces détails.

Il y a plus : Constantinople a peur d’Angora. Au lendemain de la victoire d’Inn-Eunu, combien de fois ai-je entendu des Turcs souhaiter que le triomphe des nationalistes ne fût ni trop complet, ni trop éclatant. Et cela se comprend. A côté des défenseurs de la foi, des champions de l’indépendance nationale, de ceux qui ont versé leur sang pour délivrer la patrie de l’invasion étrangère, quelle figure feraient les Turcs d’Europe, qui ont assisté en spectateurs à cette lutte désespérée, dont l’enjeu semblait être l’existence même de la Turquie ? Aucune surveillance ne peut empêcher les officiers turcs de passer en Anatolie, pour prendre du service dans l’armée de Moustapha Kemal : le nombre de ces volontaires, d’après des statistiques officielles, atteignit au printemps dernier près de mille par mois. Il faudrait y ajouter les quelques milliers d’étudiants qui ont rejoint le front d’Asie comme simples soldats. Ceux qui restent ont, malgré tout, le sentiment de ne pas faire leur devoir, d’être des Turcs de deuxième catégorie.

Les hommes politiques, craignant d’encourir une déchéance analogue, faisaient au gouvernement d’Angora des offres de service. » Vous avez assumé la tâche militaire, — disaient-ils à Moustapha Kemal et à ses amis : confiez-nous la tâche diplomatique, pour laquelle nous sommes mieux placés, mieux outillés, mieux préparés que vous. » Mais Angora repoussait l’idée d’une collaboration avec des hommes qui vivaient en pays occupé, soumis à tous les contrôles et à toutes les influences. Il était souvent pénible, presque humiliant pour les ministres du Sultan, délaisser deviner à des étrangers leur ignorance de ce qui se passait en Anatolie ; le gouvernement d’Angora ne les tenait directement au courant, ni des événements militaires et politiques, ni de ses propres intentions. On s’explique l’embarras des hommes d’Etat de Constantinople, obligés de traiter les affaires turques avec les représentants des Puissances, et obsédés par la crainte de se mettre en désaccord avec les Anatoliens, de se compromettre à leurs yeux, alors que bientôt peut-être, c’était aux Anatoliens qu’il leur faudrait rendre des comptes.

Lorsque, le 12 juin 1921, Tewfik Pacha modifia la composition