Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qualité si singulière et, pour tout dire, si étrangement obscurs et si ésotériques, qu’ils ont déconcerté, et même découragé, je le sais, la bonne volonté de bien des lecteurs qui n’étaient point tous méprisables. Les « Barbares » se vengeaient de leur dédaigneux « adversaire « ...en n’achetant point ses livres. Celui-ci était trop fin, trop amoureux de la gloire pour ne s’en point aviser, et pour ne point changer de méthode. Il dut rêver d’un grand roman conçu suivant une formule nouvelle, et où il se mettrait tout entier, avec toutes ses idées, philosophiques, politiques et sociales, avec son expérience de la vie et des âmes contemporaines, avec ses multiples dons d’écrivain : sorte d’épopée symbolique où il inscrirait, dans l’évocation de quelques destinées individuelles, l’histoire morale de sa propre génération. Et ce serait le Roman de l’Energie nationale.


I

L’œuvre une fois conçue (1894), elle fut bâtie tout entière, puis présentée à une Revue. Elle effraya par ses dimensions démesurées. On se contenta d’en insérer la première partie, qui fut baptisée d’un titre tout à fait heureux, et qui devait faire fortune : les Déracinés. De 1897 à 1903, les trois parties de la trilogie parurent successivement en librairie : l’Appel an soldat et Leurs Figures suivirent les Déracinés. Comme ils mettaient en scène nombre de personnages encore vivants, chacun de ces livres, ainsi qu’il était naturel, souleva de vives polémiques. L’ensemble s’imposa à l’attention générale : les critiques les moins indulgents durent convenir qu’après ce gros effort, M. Maurice Barrès était quelque chose d’autre et de plus qu’auparavant, et qu’il fallait désormais compter avec lui.

On se rappelle la donnée de ce Roman de l’Énergie nationale. C’est, entre 1879 et 1894, l’histoire de sept jeunes Lorrains, anciens élèves du lycée de Nancy, qui, brûlés du désir d’ « arriver, » grisés des discours de leur professeur de philosophie, le politicien Bouteiller, sont venus chercher fortune à Paris. Ils ne croient qu’en eux-mêmes, et leur grand maître,