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leur « professeur d’énergie, » est Napoléon [1]. Le journalisme, la politique, ces deux grands modernes « moyens de parvenir, » leur réussissent assez mal, au moins à quelques-uns d’entre eux : l’un, Racadot, entraîné au crime, meurt sur l’échafaud ; son complice, Mouchefrin, achève de se dégrader par des opérations du plus bas chantage. Deux autres, Renaudin et Suret-Lefort, aussi peu scrupuleux, mais plus habiles et plus heureux, deviennent, l’un agent principal d’une grande maison de publicité, l’autre député influent de la majorité républicaine, et le successeur désigne de Bouteiller. Un autre, Saint-Phlin, catholique et conservateur, retourne s’enraciner dans son pays. Un autre, Rœmerspacher, solide travailleur de Sorbonne, finira sans doute à l’Institut. Quant au dernier, François Sturel, nature inquiète, fine et nerveuse, il ne sera rien complètement : sa liaison avec le général Boulanger, ses indignations et ses velléités d’action pendant la période panamiste n’aboutiront qu’à lui faire constater son impuissance. Ce « roman de l’énergie nationale « nous laisse à dessein sous l’impression, par suite d’une mauvaise application, d’un fâcheux gaspillage de l’énergie nationale.

Cette œuvre puissante, et qui fait songer à certains romans sociaux de Balzac, n’est point sans défauts. Elle est trop touffue et elle est inégale. Les belles pages, que guettent les anthologies, y abondent. Mais le style, dans sa luxuriance, avec toutes ses qualités d’éclat, de force, d’ingéniosité aiguë, n’a pas toujours la limpidité, la simplicité, l’aisance heureuse qui distinguent les vrais classiques. Ce fleuve abondant et tumultueux

  1. Il faut rapprocher le célèbre chapitre des Déracines, Au tombeau de Napoléon, de l’article, non recueilli en volume, du Journal (14 avril 1893), sur Napoléon professeur d’énergie. Citons-en quelques lignes : « Je suis sûr que nous manquons d’énergie, de volonté, d’enthousiasme, et puis aussi d’une qualité moindre, de la flamme romanesque. Le vrai traitement, la réelle psychothérapie ne serait point de conduire nos enfants dans les maisons d’idiots et de leur dire : « Sois semblable à ceux-ci pour être heureux. » Mais racontons-leur la vie de Bonaparte. Même, n’ayez point de scrupule de leur dire : « Petit enfant, si tu le peux, sois semblable à celui-ci. » Pour ma part, je considère que tout individu qui n’est point malade d’admiration, d’enthousiasme sans issue à la lecture du Mémorial de Sainte Hélène, doit être jeté dehors à coups de pied... Ah ! s’il est quelqu’un de qui ces noms : Bonaparte ! Napoléon ! l’Empereur ! M. de Buonaparte ! ne fasse pas battre le cœur, je ne suis pas de sa race, il m’est plus étranger qu’un nègre ou qu’un sous-préfet. Quant à moi, j’entends bien ne mourir que de mon cœur usé pour avoir trop aimé l’homme de Brumaire, et, avec lui, cinq ou six héros, des hommes qui surent marcher sur les flots et n’y furent pas engloutis, parce qu’ils avaient confiance en eux-mêmes... »